Seul dans la nuit polaire - Côte est du Spiztberg
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Seul dans la nuit polaire - Côte est du Spiztberg
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Aéroport de Tromsø, principale bourgade du nord de la Norvège : un ultime saut au dessus de l’Atlantique Nord doit m’emmener encore un peu plus haut sur le globe. Au Spitzberg précisément.
Le Spitzberg est la plus grande des îles du Svalbard, ce vaste archipel situé à mi-distance entre l’extrême nord de l’Europe et le pôle nord géographique. Des terres très largement englacées qui s’étendent entre le 76ème et le 80ème parallèles…
C'est à Longyearbyen que je retrouve Eric, France et leur petite fille Léonie. Eric Brossier est le capitaine du voilier Vagabond, un sloop de treize mètres conçu dans un dessein unique : la navigation polaire.
De 2004 à 2009, Vagabond passe le plus clair de son temps (tous les mois d’octobre à juillet), prisonnier volontaire des glaces de la Baie Inglefield. « Pièces » incontournables du programme européen Damoclès, le bateau et son propriétaire sont au service de la science. Les chercheurs déploient, chaque année, de février à mai, une intense activité scientifique sur la banquise du Storfjord situé aux confins de la mer de Barents, sur la côte orientale du Spitzberg. Objectif : étudier le contexte océanographique de cet immense fjord dans le but de mieux saisir les enjeux récents et globaux des changements climatiques qui affectent notre planète…
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Chaque automne, alors que la banquise n’a pas encore pris ses quartiers hivernaux, ou bien au printemps, lorsqu’elle montre des signes de débâcle trop évidents, la science délaisse le terrain au profit des laboratoires. Mais pour le petit voilier, il n’y a pas d’alternative possible : il reste sur site.
Je me suis porté volontaire pour en assurer la garde de début octobre à la mi-décembre 2007. Une opportunité, pour moi qui bourlingue en arctique depuis des années, d’enfin connaître la nuit polaire. Seul.
Seul ? Non, que l’on se rassure ! Il y a Imiak, Jin et Frost, trois chiens de race groenlandaise… Et puis, il y a aussi et surtout le seigneur des lieux : l'ours polaire...
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L'ours du 13 Octobre
Depuis 36 heures, la glace, poussée par le vent de nord-ouest, est revenue dans la petite baie où est mouillé Vagabond. Les – 10°C de la nuit passée ont contribué à consolider une banquise toute récente.
Midi passé. Assis sur une des banquettes bâbord du bateau, je jette machinalement un coup d’œil en direction des chiens par les fenêtres du carré : à vint-cinq mètres de la première niche, un ours blanc avance d'un pas assuré dans leur direction !
Adrénaline ! Je ne fais qu’un bon, attrape dans la foulée jumelles, fusées et fusil, et sort sur le pont arrière pour observer la bestiole d'un peu plus prés et intervenir s’il le faut. Surexcité par cette visite inattendue, je lui lance un « Hé bonhomme, qu’est ce que tu fous là ? » faussement décontracté. A vrai dire, plus pour lui signifier ma présence que dans l'espoir d'obtenir une réponse précise à une question quelque peu saugrenue…
Il s’arrête, se tourne vers moi, lève la pointe du museau dans ma direction et fixe le bateau de ses petits yeux noirs. Il semble avoir compris la teneur de mon message et initie un tranquille demi-tour…
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Mais il ne s'est pas éloigné de plus de vingt mètres qu’il s’assoit sur son séant, buste parfaitement redressé. Il lève à nouveau le museau en direction des chiens et hume l’air d'un mouvement saccadé de la truffe. Mes cabots, à ma grande surprise, n’ont émis aucune protestation. Frost et Imiak n’ont même pas bougé d’un poil. Seul Jin, le froussard de la bande, s’est réfugié au fin fond de sa niche.
De retour dans le carré, je surveille le fauve du coin de l’œil. Sans plus exprimer le moindre intérêt pour ses proches voisins, il s’allonge sur le dos, déploie ses quatre pattes vers le ciel, baille, hume l’air, s'étire longuement. De ces mouvements lents se dégage une impression étrange de puissance mêlée de grâce... Aux jumelles, je distingue très nettement ses pattes énormes, presque disproportionnées du fait de la quantité de longs poils qui les recouvrent. Les griffes sont également visibles, ainsi que les coussinets digitaux, très sombres. De temps à autre, il regarde en direction du bateau : ses yeux sont petits et noirs, son museau est long, terminé par une truffe également noire, qui contraste fortement avec le blanc cassé du pelage. [...]
Il s’arrête, lève la pointe du museau dans ma direction et me fixe de ses petits yeux noirs.
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Il s’est maintenant couché sur le flanc et somnole. Cependant, il redresse la tête par moment, se remet sur le dos, regarde régulièrement vers la pleine mer, étire ses pates avant... Avant de se recoucher, une patte antérieure délicatement posée sur le museau.
Je ne sais trop que faire : lui dire d’aller voir un peu plus loin si j'y suis ou bien le laisser à ses affaires tant que celles-ci n’interfèrent pas avec les miennes (c'est-à-dire tant qu’il ne s’approche pas plus des chiens). Il ne témoigne aucune agressivité mais la faible distance qui le sépare des chiens (une trentaine de mètres environ) m’oblige à le surveiller constamment…
14 H 30. Balou n’a pas bougé d’un poil.
- « Hé, j’aimerais bien aller nourrir les chiens avant la nuit, moi ! Je m’en vais te réveiller, tu vas voir ! ».
Coups de corne de brume… Il daigne à peine tourner la tête. Bon, peut-être que lorsque les chiens se mettront à gueuler en me voyant préparer leurs gamelles (ceux-là, dés qu’ils me voient traficoter dans le coffre extérieur où il y a leurs croquettes, ils deviennent à moitié fou et ne s’arrêtent de brailler qu’une fois la tête dans la gamelle…), ça va nous le remuer un peu, le « gros poilu » !
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Pensez donc : rien, niet, que dalle !
Bien, mon p'tit bonhomme, va falloir être un peu courageux... J’enfile la combi de survie, empoigne le pistolet d’alarme et la carabine, embarque le miam-miam des clebs sans oublier le Nikon, et rejoins la rive sur la pointe des pieds (pas tant pour ne pas déranger l'ours que pour éviter de passer à travers la fine couche de glace...).
Mon Balou m’a vu venir. Nous sommes à 40 mètres l’un de l’autre. Placide (le bougre fait preuve d'une totale décontraction), toujours couché sur le flanc, il tourne la tête - seulement la tête - vers moi. A s’en choper un torticolis. Eventualité qui semble moins le chagriner que d’avoir à se redresser sur ces pattes…
Bien, mon p'tit bonhomme, va falloir être un peu courageux...
Je ne le quitte plus des yeux et tire sans plus tarder sur les zips de la combi de survie pour me libérer les mains et la tête de ce carcan de néoprène et de nylon hydrofuge qui me rend moins agile qu’un preux chevalier dans son armure en fer blanc ; je sors la quincaillerie (la carabine et le pistolet d’alarme) de son fourreau étanche et dégaine le 200 mm (ça ne fait pas mal, c’est juste un objectif photo…). [...]
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A l'approche des gamelles, les chiens glapissent et frétillent tant et plus. Nanouk, lui, n'a toujours pas bougé.
- « Hum, l'a vraiment pas l’air nerveux, celui-là ». J’en profite pour m’approcher un peu, le Nikon armé. Je ne suis plus qu'à vingt mètres de la bête... Clic clac ! Allez, encore cinq petits mètres... Toujours couché sur le flanc, la tête posée sur un oreiller de glace, c'est lui, maintenant, qui ne me quitte plus des yeux...
Série de caresses quotidiennes (aux toutous, ça va sans dire !) avant de rejoindre la rive. Je range la carabine dans sa housse, resserre les zips de la combi sans plus traîner et rentre au bateau. A peine ai-je terminé de retirer la combi que le gros poilu se lève enfin, s’étire de nouveau, baille à s’en décrocher la mâchoire, puis se lèchent consciencieusement les babines. Serait-ce un signe ? Non, il s’éloigne lentement en roulant des hanches, le nez au vent et dans la direction opposée du bateau, vers la berge, côté front glaciaire.
- « Merci de ta visite, l'ours, repasse quand tu veux… »
M'a-t-il entendu ? Toujours est-il qu'il entreprend un mouvement tournant et vient se positionner dans l’axe des chiens, à une trentaine de mètres d’eux, avant de se recoucher sur le ventre, la tête redressée, le regard pointé sur mes trois compagnons.
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- « Mince ! Semble pas décidé à filer, le loulou. Et là, mon gaillard, t’as beau l’air de faire celui qui n’y touche pas, je te trouve un peu trop collé aux clebs... »
Je renfile la combi, bien décidé à ramener les chiens un par un à bord. Je n’ai pas mis un pied sur la glace que mon loustic se redresse doucement et se retourne. Cette fois, il semble plier bagage pour de bon. J’empoigne les jumelles et grimpe sur le roof du bateau pour mieux l’observer. Il a rejoint la rive, et toujours d’un pas majestueux, grimpe sur les growlers (blocs de glace vive) que vents et marées ont déposé anarchiquement sur la berge. Il est 17 H 30.
Un peu plus tard, je le repère nageant dans la baie en direction du front du glacier Inglefield, en bordure du brash (mélasse de glace dérivante) poussé là par le vent de nord-ouest. Seul sa tête, et parfois le haut de son échine, émerge de l’eau glacée. Le jour tombe et je le perds définitivement de vue.
Toujours couché sur le flanc, la tête posée sur un oreiller de glace, c'est lui, maintenant, qui ne me quitte plus des yeux...
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Le triptyque solitude – ours – nuit permanente
Il me semble intéressant de revenir sur ce qui fut la pierre angulaire de cette expérience : le triptyque solitude – ours – nuit permanente. Voici ce que j’écrivais dans l’obscurité d’Inglefieldbukta, quelques jours avant de partir :
La fin de ma « pénitence » approche. Deux mois et demi de solitude. Soixante-dix jours en marge du monde. Des amis que l’expérience interpelle me posent des questions : Qu'est ce qui te manque le plus ? Est-il difficile de vivre loin des Hommes ? Est-ce que les ours représentent un danger réel ? Comment vis-tu l’absence de lumière ?
Oui, la contrainte la plus forte, la plus déstabilisante est, sans aucune ambiguïté possible, l’obscurité permanente. Plus encore que la solitude ou la peur des ours…
Il faut s’imaginer que mon environnement visuel se limite la très grande majorité du temps à l’espace clos du bateau. Rien de visible que le noir de la nuit – le monde des ténèbres – au-delà des fenêtres du carré.
La contrainte la plus pesante est, sans aucune ambiguïté possible, l’obscurité permanente. Plus encore que la solitude ou la peur des ours…
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Si je sors du bateau, la perception de mon environnement s’élargit un peu. Mais par les nuits sans lune et un ciel couvert (donc la majorité du temps), elle se limite aux quinze mètres vaguement éclairés par la lumière blanche de ma frontale. Limites qui peuvent être repoussées à deux centaines de mètres, pendant quelques secondes, lorsque j’utilise le projecteur. Mais au-delà, sur les côtés, derrière moi, au-dessus, il y a toujours un mur noir que ma vue ne pénètre pas.
Ulli, le premier arrivé, me rejoint : accolade chaleureuse avec ce compagnon qui faisait déjà parti de l’équipe de mise en place du bateau au début du mois d’octobre. Ses deux compagnons sont Martin et Magne.
C’est certainement ce sentiment de vivre dans une « bulle », avec une perception ultra limitée de son environnement, qui est le plus délicat à gérer mentalement. J'ai réalisé ceci en faisant le constat suivant : la présence de la lune, en éclairant – ne serait-ce que très peu – les versants enneigés des montagnes autour de moi, m’offrait une perception infiniment plus grande de cet environnement. Ce faisant, elle m’apportait une bouffée d'oxygène, le moyen de me soustraire à l’espace clôt du bateau, de me reconnecter avec le monde, si désertique fut-il.[...]
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La période critique fut la première moitié de novembre : les dernières miettes de jour disparaissaient. Naturellement, je m’y suis raccroché. Mes descentes à terre pour nourrir les chiens se faisaient précisément au moment de la journée où il restait encore un peu de lumière. Cette disparition progressive fut assez déstabilisante et angoissante. Inconsciemment, je redoutais que cette plongée dans les ténèbres fusse définitive – Ne reverrais-je jamais la lumière du jour ?…
Mais est arrivé, inéluctablement, le moment où même cet ersatz de clarté a disparu au profit de ce que l’on peut qualifier de nuit permanente (même s’il reste, les jours de beau temps et au plus sombre de l’hiver, une vague luminosité que l’on pourrait décrire comme « le point du jour »). Il est alors grand temps d’accepter l’obscurité totale, de se glisser dans cette nouvelle enveloppe, de faire sienne cette réalité non négociable. Accepter les parois de la « bulle ». Accepter de ne plus voir.
Ce n’est pas simple, car la vue est un sens essentiel à l’espèce humaine. Ne plus voir, c’est, en quelque sorte, accepter d’être diminué. Accepter le handicap. Dehors, dans un environnement passablement hostile, cette « infirmité » nous prend à la gorge : nous nous sentons profondément démunis et vulnérables.
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Mais il n’y a pas d’autres solutions que celle d’accepter. Accepter de faire de nuit ce que j'avais à faire quotidiennement dehors. J’ai alors délaissé la pénombre de midi (d’autant plus que, désormais, je dormais à cette heure-là) pour organiser mon emploi du temps en fonction de ma seule horloge interne (passablement déréglée). Si bien que je sors actuellement nourrir les chiens, sonder la glace et faire des photos aux alentours de 23 heures…
Sans aller jusqu’à avancer que je me sens parfaitement bien dans l’obscurité, je pense pouvoir dire que je m’y suis fait. Je sais la vie possible sans présence de lumière. Le temps s’écoule sans autre rythme que celui que je crée : sorties, repas, écriture, lecture, vidéos, vacation mail, fonctionnement du générateur, élaboration du pain…
A l’extérieur du bateau, l’accoutumance à la nuit demande plus d’efforts et de temps. Mais là encore, la répétition finit par créer les bases d’une expérience. De sorte que le sentiment de vulnérabilité fortement ressenti au départ perd peu à peu (lentement) de son importance.
J'organise mon emploi du temps en fonction de ma seule horloge interne
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Avec les ours...
Le fond de la baie où je me trouve est un espace que je partage avec les ours. A la fin novembre (dans l’obscurité, donc), j’ai vu l’animal sept fois en l’espace de 4 jours (ce qui, dans l’absolu, n’est pas énorme, mais qui fut dans mon cas le pic de présence ursine). A cette période, des empreintes étaient visibles partout. Les ours s’approchaient régulièrement des chiens, parfois jusqu’à se retrouver entre eux. A plusieurs reprises, ils sont venus autour du bateau…
Ces observations ne signifient pas que le plantigrade soit là en permanence. En revanche, elles montrent que sa présence n’est pas une abstraction mais bien une réalité.
Au-delà du fait que chacune de ces observations est un moment fort, et qu’il s’agit là de situations que je souhaitais tout particulièrement expérimenter en venant ici en cette période de l’année, n’empêche ! Il en va de l’ours comme de l’obscurité : non seulement sa présence ne m’est pas égale, mais elle n’est pas un facteur de sérénité.
Que l’on s’entende bien : je ne suis que très peu exposé. Je passe le plus clair de mon temps dans le bateau, où je ne risque absolument rien (il en serait autrement si j’avais à dormir sous la tente…). Et je ne quitte jamais le navire sans la carabine.
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on ne m’a pas appris à regarder la bête objectivement. Je la vois avant tout comme un fauve. Je la sais potentiellement dangereuse.
Où est le problème alors ?
J’ai envie de dire : avant tout dans ma tête ! Car on ne m’a pas appris à regarder la bête objectivement. Je la vois avant tout comme un fauve. Je la sais potentiellement dangereuse. Du reste, elle est indéniablement plus puissante et mieux adaptée à cet environnement que je le suis moi-même. Et si je me sens suffisamment sûr de mes sens (et des moyens que j’ai à ma disposition en cas d’attaque soudaine) pour envisager une approche diurne prudente sur un ours qui ne me semble pas agressif, il en va tout autrement la nuit…
Dans ce contexte, je sais qu’il n’aura aucune peine à détecter ma présence, même dans l’obscurité la plus totale : son flair me localisera sans aucune défaillance (à des dizaines de mètres à la ronde, sinon à des centaines, voire à des milliers selon les conditions de vent…). Alors que je suis bien conscient d’être aveugle à sa présence dans le noir. Conscient que, en pareil circonstances, mon champ de perception est ultra limité. [...]
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Ce qui signifie que je n'ai pas les moyens d'anticiper une rencontre ; je ne peux que la subir et la « gérer ». Du mieux que je peux… Avec une marge de manœuvre réduite. Une éventualité pas évidente à accepter mentalement.
Pourtant, là encore, pas d’autres solutions. Accepter de ne pas voir l'ours – ou de ne le voir qu’au dernier moment. Accepter de se sentir vulnérable... Avoir confiance en ses moyens d’effarouchement – voire de défense. Avoir confiance en l’attitude de son (ses) chien(s) – il(s) possède(nt) un flair qui n’égale pas celui de l’ours mais qui vaut bien mieux que le notre…
Mais tout cela ne s’apprend pas dans les manuels. Il faut expérimenter par soi-même. Prendre confiance - peu à peu. Il n’y a, je crois, que le vécu qui permette de surmonter ses craintes et ses angoisses. Comment connaître la réaction d’un chien qui a senti la présence d’un ours que vous ne pouvez voir – d’autant que chaque chien pourra avoir une réaction différente… ? Comment évaluer le comportement d’un ours lors d’une rencontre impromptue ? Comment être sûr d’avoir les bons gestes, les bonnes réactions ? Pour le savoir, il n'y a pas trente-six solutions : il faut vivre ces rencontres !
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Une autre paire de manche
Le mieux serait d’expérimenter tout cela progressivement. Commencer par de multiples rencontres diurnes avec des ours seraient souhaitables. Avec un chien, avec plusieurs chiens. En présence d’autres personnes, puis seul. Un ours craintif, un ours curieux, un ours affamé… Observer ses comportements, voir comment il réagit aux vôtres, quelles sont les règles à respecter, les limites à ne pas dépasser…
Mais envisager d’expérimenter tout cela seul (ou même avec un chien), dans l’obscurité totale, est une autre paire de manche…
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Solitude
La solitude est certainement plus facile à gérer que l’obscurité. Je serais malhonnête si je déclarais qu'elle m'est familière et évidente – cette compagne omniprésente fut parfois pesante. Mais elle ne m’est pas, non plus, totalement étrangère : je suis plutôt de nature solitaire et il m’est arrivé de voyager seul pendant plusieurs mois, certaines fois dans des coins qui passent pour des quasis déserts humains…
Même si je ne souhaitais pas fondamentalement vivre une telle expérience seul – certains affections récentes m’ont finalement poussé à cet isolement volontaire – je crois pouvoir dire que, globalement, j’accepte assez bien d’être physiquement seul : à partir du moment où cette solitude est choisie, elle ne génère pas d’angoisses particulières en moi que je ne puisse contrôler. En revanche, j’ai pleinement conscience qu’elle me limite dans certaines approche des choses.
J’ai le vif sentiment que les angoisses - conscientes et inconscientes - que ne manquent pas de générer les contraintes fortes d’un environnement, se gèrent plus naturellement et plus facilement à deux que seul. Pourquoi ? Parce que la présence d’une autre personne représente à la fois une béquille et « une porte de sortie ».
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En effet, cette présence vous réconforte et vous soutient. Autant qu’elle vous offre la possibilité d’une diversion. A l’écoute de l’autre, vous êtes alors moins à l’écoute de vous-même, et moins sensible à votre environnement (il n’est point besoin d’expérimenter cela par 78 degrés nord et pendant 70 jours pour le comprendre).
Considérons l’absence de lumière. Je suis intimement persuadé que le stress physiologique et psychologique que génère l'obscurité permanente n’est pas aussi intensément ressenti lorsqu’on est deux. Il l'est probablement encore moins quand on est plus nombreux.
Mais ce constat prend toute sa valeur en ce qui concerne la contrainte ours. J’en ai d'ailleurs fais plusieurs fois l’expérience.
En Alaska, il m'est arrivé de camper sur le territoire de l'ours Kodiak : les très nombreuses coulées dans la lande arbustive, ainsi que la présence d’une quantité incroyable de saumons éventrés à quelques mètres de notre campement, témoignaient sans conteste de la présence très récente des plus gros Grizzlis de la planète. Nous n'avions alors pas d'autres moyens de défense qu’un spray contenant un succédané de poivre. Pourtant, je me souviens très bien que cela ne m’ait pas empêché de dormir… Pour la simple et bonne raison que notre campement comptait plus d'une dizaine de personnes.[...]
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Un jour, nous avons approché un gros mâle jusqu’à ce que, dérangé, il quitte les lieux. Nous étions alors à une petite quarantaine de mètres de lui... J’avais mené cette approche sous la pression des six personnes qui m'accompagnaient et qui réclamaient des observations plus rares que promises. Je ne pense pas que j’aurais pris le risque de déranger ce vieux mâle si j’avais été seul.
Ailleurs en Alaska, il m'est également arrivé de camper sur le territoire du baribal (toujours avec cet unique - et assez dérisoire - moyen de défense : le poivre !). Dans ce cas, et bien que nos rares observations d'ours noirs furent toujours faites à grande distance, mes nuits étaient mauvaises… Car nous n’étions que deux.
J’ai bivouaqué un nombre incalculable de fois sur le territoire de l’ours blanc. Le plus souvent, j'étais armé, et parfois accompagné d'un ou de plusieurs chiens. Hé bien, là encore, mon sentiment de vulnérabilité était étroitement dépendant du nombre de mes congénères ! Au Spitzberg, sur la rive nord d’Isfjord, et alors que nous savions l’animal présent sur zone, je n’avais ressenti aucune appréhension durant les cinq semaines passées dans un campement qui abritait une petite vingtaine de personnes.
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Au contraire, l'adrénaline courait dans mes veines quand le chien alarmait alors que la nuit tombait sur le pack (la banquise dérivante, le domaine de l’ours blanc par excellence) de la côte orientale du Groenland alors que je me devais d’assurer la sécurité de mes quatre compagnons. Les nuits devenaient rarement bonnes lorsque nous nous retrouvions à deux (ou pire, seul) à devoir dormir dans des coins potentiellement – ou parfois clairement – fréquentés par les ours…
Être à deux est apaisant quand votre compagnon a une plus grande – sinon la même - expérience de l’ours (et, accessoirement, du maniement des armes) que vous. Mais même dans le cas contraire, sa seule présence vous réconfortera et vous fera envisager les choses avec plus de sérénité et moins de stress…
Si bien que vous irez plus volontiers vous balader, même par nuit noire. Dans le cas d’une rencontre, votre compagnon pourra éventuellement tenir les chiens et le projecteur, voire utiliser le pistolet d’alarme si cela s’avère nécessaire. Et vous n’aurez alors qu’à « gérer » l’utilisation éventuelle de la carabine… [...]
L'adrénaline courait dans mes veines quand le chien alarmait alors que la nuit tombait sur le pack - la banquise dérivante, le domaine de l’ours blanc par excellence).
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Mais seul, une promenade nocturne – même courte - demandera nécessairement une plus grande maîtrise du chien. Et surtout de soi ! Car, en cas de rencontre fortuite, il faudra faire immédiatement les bons choix… En sachant qu’on peut difficilement tenir le chien, le projecteur, le pistolet d'alarme… et la carabine avec une seule paire de mains…
Hum, difficile de ne pas être un brin tendu dans un tel contexte ! Seules l’expérience et les rencontres « positives » pourront parvenir à désamorcer progressivement stress et angoisses...
Prendre la mesure des choses, poser ses propres jalons, accepter ses propres limites… Un temps d’adaptation est naturel pour qui souhaite appréhender les contraintes fortes d’un nouvel environnement et en intégrer le fonctionnement et les caractéristiques.
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Un exemple d’expérience positive peut être une non-rencontre. Allez-vous balader plusieurs fois dans des favelas brésiliennes sans vous faire tordre le coup par quelques voyous et vous finirez peut-être par en déduire que ces quartiers ne sont pas aussi mal famés que le prétend la rumeur. Il en va de même sur la moraine d’Inglefieldbukta : plusieurs sorties nocturnes sans mauvaises rencontres vous mettront en confiance et vous permettront de relativiser le danger ours…
J’ai pu expérimenter cela sans même aller me promener sur la moraine. Au début de décembre, n’ayant plus vu d’ours ni d’empreintes fraîches pendant dix jours dans les parages du voilier, mes craintes d’une rencontre surprise se sont progressivement atténuées au fil de mes sorties (ce qui ne m’empêchait pas de maintenir mon niveau de vigilance). La visite récente de plusieurs ours tout autour du bateau les a naturellement ravivées…
Prendre la mesure des choses, poser ses propres jalons, accepter ses propres limites… Un temps d’adaptation est naturel pour qui souhaite appréhender les contraintes fortes d’un nouvel environnement et en intégrer le fonctionnement et les caractéristiques.
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Concordance de l'être avec le Tout
Éteindre les lampes du carré, sortir sur le pont arrière, lever les yeux et observer le ciel : par beau temps, des milliers d’étoiles scintillent dans le firmament. Par moment, une oriflamme verte s’y déploie fugacement…
Il n’est pas inutile de faire cette pause et d’avoir ce regard là : cela permet de concrétiser l’abstraction mentale qu’est la solitude... Oui, il faut parfois cela pour se soustraire aux milles pensées qui embrument le cerveau, pour parvenir à une conscience aiguë de soi. Même ici, au Spitzberg, sur cette côte est, loin de toute autre vie humaine...
Se tourner vers l’est ou le nord, et scruter les profondeurs de la nuit, se dire qu’aucun homme ne foule les milliers de kilomètres carrés qui s’étendent dans ces directions. C’est le domaine des ténèbres pour encore de longues semaines. Des dizaines et des dizaines de journées sans lumière. Un désert de vie. Un espace inhumain. Un coin de Terre oublié par la lumière…
La solitude aiguise les sens. Elle renforce notre sensibilité à la beauté comme aux dangers
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Si la solitude nous rend plus vulnérable, en contrepartie, elle exacerbe notre perception des choses et permet de voir ce que nous ne verrions pas à plusieurs. Chacun de nous a pu expérimenter cela dans divers domaines. Etre seul dans la nature, à fortiori dans un environnement relativement hostile, c’est être d’avantage à son écoute. La solitude aiguise les sens. Elle renforce notre sensibilité à la beauté comme aux dangers.
Lorsque l’expérience est suffisamment longue, il arrive que le corps et l’âme vibrent sur la fréquence propre du lieu et de l'environnement dans lesquels ils se sont progressivement fondus : cette synchronisation est alors source d’un sentiment diffus de bien-être. Sentiment de concordance de l'être avec le Tout. Harmonie rare mais parfaite…
Mais cette hyper-sensibilité née d'une solitude durable ne se limite pas au seul domaine de la nature. C’est l’être tout entier qui devient plus sensible et qui peut constater une évolution globale de son niveau de perception. La remarque pourra sembler anecdotique, voire futile, mais c’est en visionnant les films du bord que j’en ai fait le constat : les émotions que j’ai pu ressentir à ces occasions étaient plus intenses que celles vécues habituellement devant l’écran – même géant - d’une salle de cinéma. [...]
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Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, la solitude ouvre les portes d’une toute autre perception : celle de son espace intérieur.
On m’a posé la question. J’y réponds sans manières. Oui, dans un tel contexte, l'introspection est plus que possible : elle est quasi inévitable ! Oui, la solitude limite les diversions possibles, elle provoque inéluctablement une écoute et une ouverture à soi, elle fait du dialogue ou de la confrontation avec soi- même (selon que l’on est en paix ou en guerre…) un passage obligé, incontournable.
Encore faudrait-il avoir des choses à se dire… diront les sceptiques, voyant en mes propos les résultats d'une masturbation purement intellectuelle d'un paumé resté décidément trop longtemps dans le noir… Non, soyons sérieux une petite minute : qui peut prétendre ne rien avoir à se dire ?!
A la réflexion, je me suis rendu compte que ce que je vivais ici était en partie comparable – en partie seulement, car la démarche n’était pas consciente et encore moins religieuse - à ce que certains allaient expérimenter dans des monastères, dans des lieux de repos reculés, dans des ermitages… Une sorte de « retraite spirituelle ».
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Une retraite vécue à ma manière, dans un espace réduit, au contact d’un environnement extérieur austère, avec un accès limité à des sources de distraction et de diversion, sans possibilité de "débrancher" ou de "zapper". Oui, un environnement propice à la réflexion et à l’analyse…
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Dire que je me fais une joie de retrouver mes semblables serait exagéré (mais, que l'on se rassure, je ne suis pas non plus hostile à cette idée !). En revanche, revoir la lumière du jour est une attente réelle.
Pourtant, je sais déjà qu'en partant d'ici, je perdrais inéluctablement ce que toute expérience forte, exigeante, solitaire apporte : un état de lucidité et d’écoute exacerbé.
Et je me dis, aujourd’hui, que l’expérience mériterait d’être plus complète : la poursuivre jusqu’à voir le jour renaître – pour renaître avec lui -, puis les lumières rasantes embrasaient de nouveau les versants des montagnes. Afin de vivre le cycle de la nuit jusqu’à son terme ultime… Une prochaine fois, peut-être…
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Retour...
14 Décembre, fin de soirée. Au téléphone, Ulli, celui qui va me remplacer à bord, a insisté sur la dégradation prévue des conditions météo. Aussi, la relève se fera fissa et je repartirais aussitôt vers Longyearbyen…
Pourtant, ce soir, sur la côte est, le vent est complètement tombé. Les aurores ont repris du service. Sans être exceptionnel, le flux de particules lumineuses dans la ionosphère est suffisamment actif pour engendrer d’immenses draperies qui éclairent le sol enneigé de légers reflets verdâtres. Ultime séance photo. Je profite également du calme pour visiter les chiens. Hé oui, les amis, y a du changement dans l’air ! Mais pas de craintes à avoir : les gamelles continueront d’être quotidiennement remplies de ces savoureuses croquettes qui vous rendent dingues…
Là-bas, sur le glacier, une lumière… Moment fort. Je sais que c’est en cet instant précis que se termine ma retraite solitaire. Soixante-neuf jours, précisément, en dehors du monde...
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Quelques minutes plus tard, trois scooters prennent pied sur la moraine. Les chiens, qui n’avaient rien vu venir jusque là, se redressent, tirent sur leurs chaines, jappent, hurlent à qui mieux mieux. Le vrombissement strident des scooters remplacent soudainement les grincements furtifs et discrets qui animent sans cesse la banquise.
Ulli, le premier arrivé, me rejoint : accolade chaleureuse avec ce compagnon qui faisait déjà parti de l’équipe de mise en place du bateau au début du mois d’octobre. Ses deux compagnons sont Martin et Magne.
C'est en cet instant précis que se termine ma retraite solitaire. Soixante-neuf jours, précisément, en dehors du monde...
15 Décembre, minuit et des poussières… Il faut y aller. Adieu les chiens, adieu Vagabond, bon séjour à toi Ulli ! Le snowscooter ? Ce n’est pas compliqué : d’un côté, le frein ; de l’autre, l’accélérateur. Quand le terrain est en dévers, tu te penches, m’explique Martin. Quand ça monte, tu pousses les gaz à fond. Idem dans la slush… [...]
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Martin ouvre la route. Je comprends très vite que notre retour ne sera pas des plus touristiques… Mes deux comparses, rompus aux déplacements à travers les montagnes du Spitsberg, sont manifestement plus pressés de retrouver leur lit que de profiter des charmes du pays… J’en prends mon parti et appuis sur la manette des gaz.
En quelques minutes, je viens de passer d’un silence quasi monacal au vrombissement agressif des moteurs, d’une écoute attentive et permanente de mon environnement à l’univers hermétique et faussement protecteur du casque, de la stricte immobilité (je n’avais jamais aussi peu bougé de mon existence) à l’étourdissement que procure la vitesse des engins.
Voir de nouveau ! Faut-il être privé de lumière pour vraiment comprendre la puissance et le pouvoir de vie qu’est le soleil… ?
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Chemin faisant, je reconnais, malgré l’opacité ce cette nuit sans lune, certains endroits où je suis passé à ski, il y a six ans de cela. A mi-parcours, nous laissons à notre sud, les quelques lumières qui indiquent la présence du site d’extraction minière de Sveagruva. Après avoir rencontré quelques difficultés dans l’ascension du glacier (un scooter s’enlise dans les accumulations de neige fraiche), nous dévalons les pentes en direction de la vallée Advent. Trois heures quarante cinq après notre départ, nous entrons dans Longyearbyen.
Toutes ces lumières… On se croirait presque sur les Champs Élysées un soir de Noël, comparé au désert de la côte est !
Voir de nouveau. Voir la beauté du monde. Faut-il être privé de lumière pour vraiment comprendre la puissance et le pouvoir de vie qu’est le soleil… ?
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Quelques données...
TEMPÉRATURES :
- Maximums enregistrés : + 3°C les 21 et 24/10, + 1 °C le 12/12
- Minimums enregistrés : - 25°C le 11/12. Durant ces deux mois et demi, le mercure sera descendu seulement deux fois sous les – 20, huit fois entre – 15 et – 20°C, dix-sept fois entre – 10 et -15 °C.
VENTS :
- Directions : Le vent a soufflé dans des proportions à peu près égales des secteurs ouest, nord et est (entre 15 et 20 relevés chacun), très peu du sud.
- Force : sur la côte est, le vent est une valeur sûre en automne : Seulement 12 des relevés quotidiens ont été fait sans vent. Les deux tiers du temps, le vent ne dépasse pas les 20 nœuds (35 km/h). Mais les pointes au-dessus de 60 km/h ne sont pas rares. Les coups de vent tel celui du 23 octobre (rafales à 70 dix nœuds – soit environ 130 km/h) semblent toutefois être des exceptions.
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NÉBULOSITÉ :
- Sans entrer dans les détails, je crois pouvoir dire qu’elle est relativement importante à cette période de l’année. Pendant la période où le jour persistait encore, les journées de beau temps furent rares. Mais les brouillards l’ont été également. De nuit, il est plus difficile de se faire une idée précise du couvert nuageux. Toute fois, j’ai pu noter un changement significatif les deux premières semaines de décembre : les étoiles brillaient et le ciel était dégagé la plupart du temps.
PRÉSENCE DE LA GLACE DANS LA BAIE
- Que ce soit sous forme de banquise ou sous des formes plus transitoires (sorbet, brash, pancakes, growlers), la glace occupa le fond de la baie plus des deux tiers du temps. La banquise a entouré le bateau durant les quarante derniers jours.
- Une première banquise s’est formée à partir du 13 novembre, a atteint une épaisseur d’environ 20 cm avant de se disloquer 8 jours
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plus tard. La banquise définitive s’est formée le 22 novembre. Elle atteignait 20 cm d’épaisseur au bout de 5 jours, 30 cm au bout de 13 jours, 36 cm au bout de 17 jours.
- En décembre 2004, à la même date, elle faisait environ 65 cm d’épaisseur (et s’était définitivement formée à partir 8 novembre). En décembre 2005, à la même date, elle faisait environ 50 cm d’épaisseur (et s’était définitivement formée à partir 21 octobre). En décembre 2006, l’absence de relevé ne me permet pas de dire, mais il semble que des débâcles (généralement causées par des coups de vent d’est ou de sud) aient affecté régulièrement le fond de la baie…
On peut donc dire que l’englacement (la formation de la banquise) fut plus tardif en cet automne 2007 que lors des deux premiers hivernages.
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OURS :
J’aurais fait une vingtaine d’observation, réparties sur 14 journées. Ce qui est assez peu au regard des trois automnes précédents :
En 2004 (même période) : 33 obs. réparties sur 19 jours (quasiment plus aucune à partir du 13/11).
En 2005 (même période) : 36 obs. réparties sur 27 jours (dont 27 obs. faites avant le 7/11).
En 2006 (même période) : 64 obs. réparties sur 32 jours (dont 57 obs. faites avant le 10/11).
Cette année se caractérise donc par :
- un faible nombre d’observations lors de la première partie de l’automne (alors que la présence du jour aurait du les favoriser, comme ce fut le cas les années précédentes)
- des périodes régulières de 8 à 12 jours sans aucune observation.
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Intrigué par la rareté des observations, j’ai d’abord pensé que je n’étais peut-être pas suffisamment attentif (je doutais cependant de cette possibilité car je suis familier de l’observation animalière).
Mais les observations faites de nuit ont été finalement plus nombreuses qu’à l’automne 2004, et au moins aussi nombreuses que durant les automnes 2005 et 2006.
Ce qui tend à confirmer une présence ursine réellement en pointillé en début de saison dans la baie d’Inglefield.
Par la suite (de nuit donc), cette présence fut bien plus régulière : quand ce n’était les observations directes, les traces nombreuses visibles à quelques dizaines de mètres du bateau le confirmaient. Excepté au début de décembre où il y eu une période sans visites ni empreintes visibles…
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Classification de la glace d'eau de mer
2 CATÉGORIES :
- Banquise côtière (« fast ice »)) : se forme à partir de la côte et progresse vers le large, plutôt plate et lisse ; limite extérieure : la ligne des fonds de 20 m
- Banquise fixe ou dérivante (« pack ice », « drift ice ») : surface plus tourmentée
CONDITION DE FORMATION :
- pour que l’eau de mer commence à geler, en raison de sa salinité, il faut qu’elle atteigne une température entre – 1 et – 2 °C, au contact d’une masse d’air de -12 à – 15 de manière durable. L’eau douce a une densité maximale à + 4 °. Les volumes d’eau de température inférieure (ou supérieure), plus légère, vont donc surmonter les eaux à + 4. Le refroidissement de la masse d’air sus-jacente aura pour effet de renforcer la stabilité d’une telle disposition.
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- En ce qui concerne l’eau de mer, la salinité abaisse le point de congélation par l’influence des produits dissous et par l’augmentation régulière de la densité au cours du refroidissement. La couche d’eau superficielle va donc s’alourdir progressivement, puis s’enfoncer et va être remplacée par de l’eau relativement plus chaude remontant de la couche sous-jacente.
Ce processus implique que le refroidissement doive se propager dans toute la couche d’eau convective avant que ne débute le phénomène de congélation. En présence d’un apport d’eau relativement plus chaude en profondeur qu’en surface, la convection peut empêcher la congélation pdt tt l’hiver malgré une temp. de l’air très basse : l’absence de banquise sur la côte sud-ouest du Spitzberg est du à ce phénomène.
- Si les conditions de congélation sont remplies, la surface de la mer se couvre de frasil (« frazil ice »), petits cristaux plats de quelques cm de long qui se multiplient pour former un sorbet (« grease ice »).
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Ce dernier se transforme en une mince couche de glace élastique (« nilas ») si la mer est calme, en crêpes de glace (« pancake ice ») si elle est agitée.
- Cette glace atteint une épaisseur maximale de 30 cm. Elle est de couleur grisâtre et d’autant plus sombre qu’elle est plus nouvellement formée. Elle est molle et très salée (du fait d’une grande vitesse de glaciation).
- Le taux d’accroissement de l’épaisseur glaciaire diminue avec l’importance de la couche : le flux de chaleur mer-atmosphère est freiné par la glace, et le refroidissement de la mer en surface est moins marqué. Les rapports entre la résistance de la glace sont complexes ; à – 7 le sulfate de sodium cristallise, à – 23 le chlorure de sodium. Au-dessous de – 23 la glace formée présente une plus grande résistance élastique qu’une glace moins salée.
- Le second stade de développement important correspond à celui atteint par la glace d’un an (« first-year ice ») (épaisseur min de 30 cm, épaisseur
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max n’excède pas 2 m). En principe, cette glace ne résiste pas à la saison des fontes. Elle présente en général une surface heurtée (crêtes, interstices…).
- Le 3ème stade de croissance est constitué par la glace qui n’a pas entièrement fondu pendant l’été polaire et qui au retour de l’hiver recommence un cycle de croissance : c’est la glace de deux ans. Une glace qui a franchit le cap de 2 étés est appelé glace ancienne (« old ice » ou « multi-year ice ») : couleur bleutée, relief patiné et adouci. Épaisseur : environ 3 m. rapport d’immersion : 1/7e
DÉFORMATION DE LA GLACE FLOTTANTE :
- La glace marine subit des modifications liées à ses propriétés physiques, à l’action des courants, du vent. Une brusque baisse de température entraîne la dilatation de la glace. Un réchauffement la contracte.
- Des phénomènes de convergence de plaques génère des crêtes de pressions (« pressure ridges ») et « hummocks » ainsi qu'un accroissement sous la glace : quille
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de glace sous un hummock. La hauteur totale de ces reliefs peut atteindre 60 m : 12 dessus, 48 dessous ! Lorsqu’il y divergence : fissures (cracks), chenaux (« leads »), « polynies » (ouverture circulaire ou ovale)
DÉRIVE DES GLACES DE MER :
- Elles dérivent en général de 10 à 20° à droite de la direction du vent et à une vitesse de 3 à 10% de ce dernier. Dans les zones à fort courant, des glaces remontant au vent st observables. Elle peut dérive de 100 km par mois en arctique
ÉVOLUTION DE LA GLACE DE MER :
- Nouvelle glace (« new ice ») : terme général s’appliquant à toute forme de glace formée récemment (« frasil », « sorbet », « gadoue », « shuga »)
- Frasil : fines aiguilles ou plaquettes en suspension dans l’eau
- Sorbet : stade de congélation postérieur au frasil ; cristaux s’agglutine pour former une couche de « soupe », d’aspect mate.
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- Nilas : couche de glace mince et élastique ondulant facilement sous l’effet des vagues / houle. Surface mate, épaisseur 10 cm max.
- Jeune glace (« young ice ») : stade intermédiaire entre nilas et glace de première année (10 à 30 cm)
- Glace de première année
- Vieille glace
ASPECTS GÉNÉRAUX :
- Banquise côtière (fast ice) : glace de mer soudée à la côte ; peut s’étendre à pls m comme à pls centaines de kil de la côte
- Pack ou banquise : terme utilisé dans un sens très large et désignant tout étendue de glace de mer autre que la banquise côtière, quelques soit sa forme et la façon dont elle disposée.