Islande secrète - Aux confins des glaces du Vatnajökull
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Islande secrète - Aux confins des glaces du Vatnajökull
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La nation islandaise est l'une des dernières d'Europe à disposer, malgré les effets des temps modernes, d'une nature autonome – c'est à dire une nature qui semble dotée d'une farouche volonté à part entière, indépendante de celles des humains, une nature que les hommes n'ont pas réussi à domestiquer...
La splendeur de ces immensités sauvages, où l'homme n'est plus qu'un corps étranger minuscule, est unique au monde
Guðmundur Thorsson - essayiste islandais
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Un cheminement au cœur d'une Islande insoumise et primitive, résolument sauvage et secrète, démesurément Nature. Une exploration sous le signe des glaces du Vatnajökull et des Hauts Plateaux de l'Intérieur.
Un voyage hors norme, en dehors du temps et en marge du monde. Une immersion totale... « into the wild » !
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Les monts Skaftafellsfjöll, dans le parc national du Vatnajökull, comptent parmi les plus spectaculaires d'Islande : les couleurs pastel des roches rhyolitiques, l'incroyable modelé du relief, l'immensité des glaciers, tout ici confère au paysage la beauté picturale d'un tableau.
Cette courte itinérance est davantage une randonnée alpine qu'un trek. Un cheminement aérien, de crêtes en crêtes, entre la profonde vallée de Kjos et la plus grande langue glaciaire d'Europe, le Skeiðarárjökull. Spectacle garanti !
Les principaux objectifs de ce voyage sont :
« explorer » le massif des Skaftafellfjöll dans son intégralité
Y « dessiner » l'itinéraire le plus esthétique qu'il soit : une traversée par les crêtes.
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Un fort vent de sud-ouest et des grains réguliers balaient l'étroite arête méridionale du Sveinstindur. Vers l'ouest, presque à contre-jour, une alternance désordonnée de crêtes désolées et de sombres vallonnements cours jusque sur l'horizon. Sorte d'ondulations telluriques. Ce sont les paysages lunaires des rives de la Tungnaá.
Au nord-est, le bassin alluvial de la Skaftá, extraordinairement ramifié, draine les eaux sauvages de l'imposant glacier Siðujökull.
Alentour, des rais de lumières transpercent les nuées et soulignent, ici et là, des reliefs anonymes. Collines dénudées des Tungnaáfjöll et versants moussus des Fögrufjöll (« les Belles Montagnes »).
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Alternance désordonnée de crêtes désolées et de sombres vallonnements cours jusque sur l'horizon. Sorte d'ondulations telluriques
En contrebas, les eaux bleu cobalt du Langisjór s'étirent sur quelque trente kilomètres. La « Longue Mer ». Cet immense lac est tellement isolé au milieu des montagnes qu'il ne fut découvert qu'en 1858. Aujourd'hui encore, cette contrée, accessible par des pistes difficiles, reste peu fréquentée.
Et plus l'on progresse en direction du géant Vatnajökull, plus il devient improbable de croiser nos semblables...
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Le fleuve Skaftá est le plus important que nous ayons à franchir au cours de ce trek.
En septembre 2005, après un examen scrupuleux de la rivière, nous entreprenons de la traverser à hauteur des montagnes Fögrufjöll : une heure de « trempettes » glacées. Deux kilomètres et demi - la largeur du lit de la rivière en cet endroit précis - d'un parcours angoissant, de bancs de sable « mouvants » en bras d'eau incertains...
Depuis, sur ce cours d'eau précisément, nous optons pour une toute autre technique, infiniment plus sûre – pour peu que l'on soit équipé du matériel adéquat : une traversée en tyrolienne sur un câble d'acier - autrefois installé par les éleveurs de la région pour y faire traverser leurs moutons - de 100 mètres de long... Un pur moment d'aventure !
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Les rivières islandaises sont à l'image de la nature du pays : âpres, indociles et bouillonnantes ! Sur les Hauts Plateaux de l'Intérieur, aux confins des glaces du Vatnajökull, là où nul pont ne les enjambe, nulle piste ne les traverse, elles constituent des barrières naturelles infranchissables. Ou presque. Tout l'enjeu – et le jeu – consiste alors à trouver la parade, la faille dans le système, le passage qui permet d'accéder à l'autre rive. A l'autre Islande : la plus sauvage.
A la périphérie des grands glaciers, les systèmes hydrographiques sont parmi les éléments les plus instables du paysage. En témoigne la rivière Djupá, sur la bordure orientale de l'immense langue glaciaire Si?ujökull : elle ne se traverse qu'en de rares endroits... et encore, ne sont-ils jamais identiques d'une année sur l'autre... Le lit mineur du fleuve connait un perpétuel remaniement.
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Tout l'enjeu consiste alors à trouver la faille dans le système, le passage qui permet d'accéder à l'autre rive. A l'autre Islande : la plus sauvage.
En 2007, nous remontons la faille éruptive du Lakagigar jusqu'à son extrémité nord. Ainsi prenons-nous pied sur la langue glaciaire du Siðujökull sans avoir à guéer la rivière Hverfisfljót, une des plus délicates du secteur. Un an plus tard, au même endroit, le front du glacier s'est retiré d'une cinquantaine de mètres, laissant désormais apparaitre les eaux boueuses de la Hverfisfljót. En tentant de la traverser, je réalise que la rivière s'écoule sur un lit de glace : ce dernier, très irrégulier, parfois profond, est déraisonnablement glissant. Ça ne passe plus ! Un détour de plus de trois kilomètres à travers les moraines de la rive ouest du Si?ujökull devient l'ultime recours pour accéder à la calotte...
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Je ne donnerais pas cher de notre peau si nous devions vivre un jökullhaup ici, « en direct » !
Grænalón. Littéralement, la lagune verte. Détail incroyable : les versants qui dominent le lac portent des traces évidentes d'anciens niveaux lacustres. Or, le plus haut d'entre eux se trouve deux cents mètres au-dessus de la surface actuelle de la lagune ! Il y a soixante ans à peine, cette dernière était en effet bien plus importante et profonde qu'elle ne l'est aujourd'hui. Aussi, lors de phénomènes cataclysmiques récurrents, ses eaux débordaient par dessus les collines, au sud, et déferlaient massivement vers le bassin versant de la Nupsá !
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En juillet 2008, nous découvrons un paysage inattendu, différent de celui traversé l'année précédente : des blocs de glace démesurés (certains gros comme des chalets) se sont échoués sur la rive orientale du lac. A plus de trois kilomètres du front glaciaire qui les a libérés. Et parfois à près de cinquante mètres au-dessus du niveau des eaux ! Pas de doute : un « jökullhaup » vient de se produire. Il y a quelques mois ou quelques semaines. Peut-être même quelques jours...
Le secteur est coutumier de ces lâchers d'eau sous-glaciaires, conséquence de la forte activité volcanique qui règne sous la calotte du Vatnajökull : douze fois le phénomène aura été enregistré durant les vingt dernières années... A bien considérer la taille des « glaçons » déposés à plusieurs centaines de mètres de la rive, je ne donnerais pas cher de notre peau si nous devions vivre un jökullhaup ici, « en direct » !
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Grænalón. Incontestablement, le secteur le plus retiré de ce trek. Mais aussi un des sites périglaciaires parmi les plus inaccessibles d'Islande. Localisé aux confins nord-ouest d'une enclave montagneuse prise en étau par les glaces du Vatnajökull, ce grand lac jouxte le puissant glacier du Skeiðarárjökull.
Les eaux troubles de la lagune, ses rives, la plaine alluviale qui l'alimente d'un côté et les deux kilomètres de front glaciaire qui l'obstrue de l'autre... tout ici témoigne de bouleversements réguliers et des forces colossales qui y président. Ce paysage, austère, brut, approximatif, semble l'œuvre inachevée d'un démon.
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Ce paysage, austère, brut, approximatif, semble l'œuvre inachevée d'un démon.
Il faut, avant de gravir la rive nord du lac, franchir l'important torrent glaciaire descendu du Grænalónsjökull. Ses rives sont constituées d'un emboîtement de terrasses alluviales récentes qui atteste un niveau d'écoulement de la rivière naguère supérieur. Ses eaux boueuses exhalent des relents sulfurés... Voyage aux premiers jours du monde.
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En août 2007, depuis les contreforts orientaux de la montagne Grænafjall, nous découvrons la partie amont du Skeiðarárjökull : la plus grande langue de glace d'Europe. En dépit d'une lecture attentive de l'état de surface du glacier, je me fourvoie dans une zone crevassée. Interminable cheminement...
Mais le plus surprenant est ailleurs : à perte de vue, dans l'horizon nord, un chaos de glace que je n'ai jamais vu sur aucun autre glacier : une armée de pénitents noirâtres envahit par centaines - pour ne pas dire par milliers – la surface du Skeiðarárjökull (jetez un coup d'œil sur Google Earth, vous les repèrerez vite !). Ces cônes, dits « à cœur de glace », sont recouverts de sédiments volcaniques et atteignent quatre à cinq mètres de hauteur par endroit. Je n'ose à peine imaginer ce que serait notre progression si d'aventure notre chemin devait nous mener au cœur de ce dédale...
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Combat de titan entre la glace et le roc...
Un autre aspect singulier du Skeiðarárjökull est visible depuis les versants escarpés du massif rhyolitique de Skaftafell : en rive gauche de la langue glaciaire, à la faveur d'une rupture de pente, un bras secondaire difflue à contresens de l'écoulement général, en direction des montagnes et de l'étroite vallée de la Norðurdalur...
En résulte, au sein même du glacier, des pressions antagonistes formidables qui se matérialisent par des bandes de Forbes (bandes sombres à la surface du glacier) aux dessins complexes et torturés. En sa périphérie, des amoncellements chaotiques de glace occupent des lacs paraglacaires dont les géométries évoluent d'une année sur l'autre. Témoignages d'une « collision » inattendue entre un glacier et une montagne. Combat de titan entre la glace et le roc...
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Sommes-nous encore sur la planète Terre ?
Du sommet du Blátindur, dans les montagnes de Skaftafell, le regard se perd sur les étendues infinies du Skeiðarársandur. « Sandur » : ce terme d'origine islandaise est précisément employé par tous les géographes pour décrire les complexes géomorphologiques qui caractérisent les vastes plaines alluviales d'origine fluvio-glaciaires présentes sous les hautes latitudes. Mais le Skeiðarársandur, qui s'étend sur près de 1000 km2, a ceci de particulier qu'il est le plus vaste de la planète !
On ne peut clôturer cette intrusion dans les hautes terres sans faire l'ascension des crêtes Kjósareggjar, à peine plus au nord. Ultime révélation et point d'orgue de ce trek majeur : les trésors cachés du massif rhyolitique de Kjós. Relief ciselé et rayé de dykes sinueux, versants multicolores (camaïeux de violet et d'orange ; éventail de vert, de gris et de blanc...), éboulis vertigineux et cônes de déjection imposants… une géologie bouleversée, le royaume du minéral, le temple de l'érosion... Sommes-nous encore sur la planète Terre ?
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Pour aller plus loin