Ski exploration dans le massif du Schweizerland, Est Groenland
-
_
Ski exploration dans le massif du Schweizerland, Est Groenland
_ -
SCHWEIZERLAND
Légèrement moins isolé que ses lointains voisins les Watkins ou les Alpes de Stauning, le massif du Schweizerland [appelation que l'on peut librement traduire par « la Suisse » ou les « Alpes Suisses »] fut découvert et ainsi nommé par l'expédition suisse d'Alfred de Quervain, en 1912. Il s'agit d'un vaste massif qui se situe sur la côte orientale du Groenland, à la latitude du cercle polaire arctique. Culminant à 3360 m au Mont Forel, ces montagnes au relief vigoureux sont parcourues par d'énormes glaciers aux noms parfois familiers : Glacier de France, de Franche-Comté, de Paris, du Pourquoi-Pas ? Témoignage du passage d'un certain Paul-Emile Victor...
D'une superficie d'environ 15 000 km², le Schweizerland se prolonge vers le sud par un massif secondaire : les Alpes calédoniennes. A la jonction de ces deux entités, entre les extrémités nord des fjords Sermiligaq et Sermilik, et le fjord très peu visité de Kangertitivatsiaq, s'étend, sur près de 3000 km2 (une superficie supérieure à celle du massif des Ecrins), un vaste système glaciaire : les glaciers Kaarali, Knud Rasmussen, du 16 Septembre s'écoulent ici, au pied d'une multitude de sommets avoisinant les 2000 mètres d'altitude...
Pénétrer le coeur de la forteresse et en découvrir les secrets !
-
Ayant déjà arpenté en été et à plusieurs reprises, à pied ou en kayak de mer, les bordures orientales et occidentales de ce système glaciaire, conquis par la beauté brute, le caractère sauvage et le potentiel fabuleux de ces montagnes, mon souhait était de m'y rendre à ski-pulka : le meilleur des moyens pour enfin pénétrer le coeur de la forteresse et en découvrir les secrets !
-
« Djuu djuu djuu »
Pas une minute ne passe sans que Georg ne relance ses chiens. De temps à autres, un claquement de fouet sur la neige invite la meute à changer de cap. Au sud du glacier insulaire d'Apusiaajik, un petit col débouche sur une pente raide ; Georg saute sur la plateforme avant de son traîneau, me tend le manche du fouet et m'invite à m'en servir de frein. L'attelage plonge dans la pente, les chiens accélèrent pour ne pas se faire rattraper par les 300 kg du traîneau. Un léger doute me traverse l'esprit : ce serait « ballot » d'être victime d'un accident de la circulation dans ces parages...
« Tiite tiite tiitaa... ». Pendant 5 heures, nous glissons sur la banquise des fjords. Aqartertuluk, Igterajiik, Naportuit Nuuat, Itaaliik, Majertiluk, Ilinvinga... L'impénétrable mélopée toponymique s'unit aux sollicitations du musher et au bruissement des patins du traîneau sur la glace pour créer une ensorcelante litanie. Le jour s'étire lorsque nous installons notre premier camp, en bordure d'un cours d'eau anonyme, alimenté par des glaciers qui le sont tout autant. Nous venons de parcourir 60 kilomètres et nous sommes désormais seuls.
-
Nous souhaitons rejoindre rapidement le bassin versant du Kaarali. Aussi, en ce premier jour de ski, et malgré l'arrivée précoce du brouillard, nous menons bon train pour avaler l'étape. Le camp 2 installé à l'orée du géant de glace, nous faisons deux premières virées sur les hauteurs d'un glacier affluant. De quoi « prendre la température des lieux ». A propos de températures, il fait d'ailleurs étonnamment doux. Nous comprenons très vite qu'il faudra viser les pentes nord si l'on veut « trasher la powpow »...
Le banc de strato-cumulus qui découpait, la veille au soir, le raide versant sud du massif du Rytterknaegten (1967 m) s'est développé ce midi en une nappe uniforme et opaque. Dans ce jour blanc, une moraine centrale du Kaarali sert de guide à notre progression. Mais à la faveur d'un ressaut du glacier, dans l'ombre des hautes parois qui dominent, à l'ouest, le fleuve de glace, nous émergeons des nuées : délivrance, lumière crue, contrastes saisissants ; Le Rytterknaegten, distant de six kilomètres, est magistral. Nous installons un 3ème camp en rive droite du glacier.
-
Au sud-sud-ouest, la combe orientée nord et culminant à 1800 mètres (1200 mètres au-dessus du camp), n'est pas aussi avenante que ne le laissait présager la carte : de très nombreuses crevasses découpent le glacier en tous sens. Splendide, mais nous devons changer notre fusil d'épaule. Nous optons pour l'ascension d'un vallon secondaire, débouchant sur une crête à 1600 m. Une arête rocheuse et des parois raides, exposées plein nord, nous séparent d'un sommet imposant et pourtant anonyme. La vue désormais plongeante sur la combe initialement envisagée confirme nos premières impressions : crevasses à gogo ! Une fois « déphoqués », nous plongeons dans un vallon secondaire et contournons, à mi-pente, quelques trous béants. Mercolina ! En face nord aussi, la neige est en train de se cartonner. C'est que la météo est au grand beau et les températures on ne peut plus printanières ! Aussi, dès que possible, nous allons chercher la neige transfo des contre-pentes raides exposées sud-est.
Quel privilège de kiter ici, dans cet immense amphithéâtre glaciaire !
-
Alors que nous progressons de nouveau avec les pulkas vers le Kaarali Base Camp (une vaste plaine glaciaire née de la jonction de cinq glaciers de tailles déjà respectables), une brise que je n'espérais plus se met en place et fraîchit rapidement. Je déballe et prépare aussitôt ma Manta, une des deux ailes de traction que j'ai jointes à mes bagages... C'est parti pour une heure trente de ride made in Greenland. Je tire des bords aussi larges que le glacier me le permet (plusieurs kilomètres) pour remonter contre le vent. L'inconfort du baudrier de ski-alpinisme, le couplage très imparfait des deux pulkas que je tracte et qui me freinent plus que de raison, les rails que dessinent mes skis dans cette neige cartonnée au possible, rendent l'exercice éprouvant.
Mais quel privilège de kiter ici, dans cet immense amphithéâtre naturel. La vue est maintenant bien dégagée sur les deux glaciers parallèles qui, au nord de la flèche du Rytterknaegten, descendent des cols Nord, Castor et Pollux. Au sud-sud-est du Kaarali Base Camp, un dédale de grosses crevasses protège l'accès d'une auge glaciaire peu pentue, surmontée de pics saillants.
-
A l'ouest, les parois abruptes du Trillingerne, du Storebror (2069 m) et du Pikkelhuen (2039 m), et leurs glaciers suspendus, dominent puissamment le Kaarali. Mais en milieu de journée, la brise s'éteint aussi vite et mystérieusement qu'elle n'est apparue. J'affale et range mon jouet...
Depuis le camp 4 (alt. 800 m), positionné au pied du versant oriental du Ski Peak (1672m), nous nous élançons à l'assaut de ses modestes pentes. Les circonvolutions imposées par quelques brèches entrouvertes viennent agrémenter un itinéraire presque plan-plan. L'ascension vaut surtout par la position dominante de ce sommet sur le haut bassin versant du
Kaarali : au sud-est, le regard embrasse l'intégralité du glacier, depuis notre minuscule camp jusqu'à la banquise du fjord Sermiligaq, toujours sous le patronage de l'imposant Rytterknaegten. Au nord et au nord-est, la vue porte jusqu'aux confins même du massif du Schweizerland, quelque part vers le Mont Forel (3360 m) ; entre lui et nous, une myriade de sommets élancés, dont certains parcourus par des goulottes de glaces hautes de plusieurs centaines de mètres.
-
Au ponant, nous distinguons nettement le long fjord du Sermilik, que domine, à l'horizon, le mythique inlandsis. Enfin, au sud, l'aiguille du Storebror (« le Grand Frère ») dévoile une face ouest totalement verticale...
Le lendemain, sous un ciel voilé et après quelques hésitations quant à l'objectif, nous prenons la direction du Pikkelhuen. Là encore, la neige s'avère de qualité variable, mais le cheminement qui serpente plus que jamais entre des crevasses béantes est grandiose. La selle neigeuse sur laquelle nous débouchons domine de plus de 1500 m la vallée de la Tasiilap Kuua.
Nous tractons à nouveau les pulkas et faisons maintenant route au sud vers l'objectif de notre exploration, par un glacier anonyme, perché entre le Kaaralii et la vallée précédemment nommée. Une halte dans l'unique petit refuge de la région précède une dégringolade de 600 mètres de dénivelé à la faveur d'un glacier un peu pentu. Cette descente infernale nous vaut une bonne suée...
Le cheminement qui serpente plus que jamais entre des crevasses béantes, est grandiose
-
La vallée de la Tasiilap Kuua a quelque chose de singulier. Reliant les extrémités nord des fjords Sermilik et Angmagssalik, cette profonde entaille - la plus septentrionale des grandes failles qui balafrent les Alpes calédoniennes - semble relativement protégée des influences maritimes glaciales générées par le courant polaire côtier. La haute barrière naturelle formée par le Trillingerne, le Storebror et le Pikkelhuen – ces sommets dominent de 1800 à 1900 mètres le fond de la Tasiilap Kuua - explique l'existence de ce microclimat ; et alors que nous sommes là à deux pas du bassin versant du glacier Kaarali, il est étonnant de remarquer combien cette vallée est comparativement « sèche » : la présence de la glace se réduit ici à de « petits » glaciers de cirque qui s'écoulent abruptement et meurent sur les flancs de la vallée. Ici, en été, l'extrême raideur des parois, les pentes abruptes des langues glaciaires confèrent à la Tasiilap Kuua une atmosphère presque plus patagone que groenlandaise...
Nous installons un 5ème camp sous les très raides versants ouest du Storebror et du Pikkelhuen. En deux journées, nous explorons quatre des combes perchées sur le versant oriental de la vallée, et une sur son versant occidental.
Une atmosphère presque plus patagone que groenlandaise...
-
Une seule de ces virées nous permet de déboucher sur un sommet (1532 m) ; ailleurs, les parois abruptes des fonds de cirques interdisent l'accès aux crêtes faîtières. Mais peu importe : si les paysages n'ont pas ici la puissance de ceux observés sur le bassin glaciaire du Kaarali, les dénivelés sont en revanche plus conséquents et les itinéraires skiables plus nombreux. Et pour ne rien gâcher, la neige transfo nous permet enfin « d'envoyer les watts » à la descente !
Deux journées complètes nous seront encore nécessaires pour rejoindre le fjord de Tasiilaq, puis le village de Kuummiit et, enfin, celui de Kulusuk.
Faire du ski nautique sur une mer gelée, à cinq derrière un skidoo... être déposé par un bateau sur un bout de banquise, au milieu de rien, et attendre l'arrivée – probable, mais jamais tout à fait certaine – de mushers groenlandais aux yeux rieurs et à la peau mate, brulée de soleil... voir débarquer d'une minuscule vedette un chien, deux chiens, trois chiens... quatorze chiens et un long traîneau... Tels sont les voyages en compagnie des Inuits sur la côte orientale du Groenland : une aventure dans l'aventure... parfois plus incertaine et déstabilisante que l'expédition elle-même !
Tels sont les voyages en compagnie des Inuits sur la côte orientale du Groenland...
-
Le contexte particulier du « ski exploration » dans ces régions
Sur la côte Est du Groenland, le ski de montagne est, à mon sens, essentiellement défini par les deux aspects suivants :
- l'absence de topo-guides, d'information préalables, l'imprécision relative des cartes (1/100 000e dans le meilleur des cas, 1/250 000e dans la plupart des autres...) et de GoogleEarth.
- la nature du terrain : une majorité de versants très raides dominent de gros glaciers peu pentus. Les sommets et versants rocheux étant généralement très escarpés, les itinéraires facilement skiables sont majoritairement glaciaires. Or, si la carte topo au 1/100 000e offre une indication sur la pente moyenne d'un versant ou d'une combe, elle ne dit absolument rien de l'état et de la « fréquentabilité » des glaciers (crevasses or not crevasses...).
-
Le choix des itinéraires se dégrossit donc dans un premier temps grâce à la carte, mais s'affine toujours « à vue ». Il en découle immanquablement des contraintes : celle de parfois devoir trouver un autre objectif que celui préalablement envisagé ; ou de ne pas déboucher sur un sommet ou une arête. Mais de toute contrainte naît un avantage - et pas le moindre : celui de tracer sa propre route, de skier librement, sans canevas !
-
Pour aller plus loin
- PRESENTATION du voyage Ski Exploration Schweizerland 2018
- CLIP VIDEO saison 2016
- GALERIE PHOTOS saison 2016
- CLIP VIDEO saison 2015
- GALERIE PHOTOS saison 2015
- Plus d'images
- Carte de localisation
- Guide pratique
- Article dans le magazine "Ski Rando Mag"
- Snowkite dans les massifs du Schweizerland & du Liverpool Land