Wings over Greenland I - 2250 km en Snowkite à travers les glaces du Groenland
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Du 01 mai au 31 mai 2009
Wings over Greenland I - 2250 km en Snowkite à travers les glaces du Groenland
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Du vent et des voiles, un univers monochrome, un espace sans limite... A l’image du « décor », le scénario de ce « road movie » polaire est on ne peut plus simple : avaler les milliers de kilomètres englacés qui séparent l’extrémité sud et nord-ouest de l’inlandsis groenlandais...
Au printemps 2008, un trio franco-germanique composé de Cornelius Strohm, Thierry Puyfoulhoux et Michael Charavin parcourt en kite-ski l’un des déserts les plus absolus de la planète.
Flash-back sur l'expédition « Wings over Greenland » !
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Fabuleux ride sur l'océan blanc
Deux heures du mat, le réveil sonne ! Température glaciale. Morsure vive du froid. S'extraire des sacs de couchage, enfiler fringues et godillots raidis par le gel, allumer le réchaud... Nous mettons des lustres pour faire des petits riens. Une fois dehors, la mise en place de nos voiles achève de nous congeler. Rester lucide, ne pas mollir : il nous faut réintégrer la tente sur le champ, retirer nos chaussures, se frictionner afin que sang et sensations retrouvent le chemin trop vite oublié des extrémités... Il s'est écoulé plus de cinq heures depuis le réveil lorsque nous “décollons” enfin ! Il fait – 26 °C.
Il y a maintenant neuf jours que nous avons quitté les rives du fjord Qaleragdlit, situé non loin de la localité de Narsaq, par 61° de latitude nord. Et, en ce matin du 10 mai, notre compteur ne totalise que 240 petits kilomètres... Soit un dixième de la distance que nous souhaitons parcourir pour atteindre l'objectif fixé : le bourg le plus septentrional du Groenland, Qaanaaq, par 77° nord.
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Avec un vent modéré ¾ arrière, la progression sous Yakuza – la plus puissante de nos voiles, 12 m2 - nous semble plus laborieuse que jamais. A tel point que nous tirons des bords vent arrière (1) afin de grignoter "du nord" sous une allure plus confortable...
Mais en milieu de matinée, le vent fraîchit soudainement. Avant que ce ne soit la « cata », nous affalons les Yakuzas et déballons nos voiles-tempête, des parawings Beringer (2). Le chasse-neige (3) se met en place et se renforce rapidement : tandis qu'à notre verticale le ciel reste dégagé, un voile opaque, épais de quelques mètres, unit bientôt le ciel à la calotte : les conditions sont désormais polaires... Nous enfilons l'équipement de circonstance : doudounes, grosses moufles, surbottes, cagoules intégrales...
La progression, sur une surface peu chaotique, se fait de plus en plus rapide et les surventes régulières sont l'occasion d'accélérations fulgurantes : plus de 50 km/h au compteur...
Les kilomètres défilent. Le bonheur, c'est maintenant !
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En fin d'après-midi, le vent montre des signes de faiblesse : en basculant en mode Access 10 (une aile à caissons et à barre « de-power », d'une surface de 10 m²), nous « renvoyons de la toile » et repartons sur les « chapeaux de roue », bien décidés à « bouffer du kilomètre » et à avancer aussi loin que l'on pourra... Nous kitons toutes voiles « calées dans la fenêtre » (4). Skis et pulkas soulèvent derrière eux de légers panaches de neige qui s'illuminent d'or dans le contre-jour d'un soleil couchant. Contrôles réguliers sur les GPS : la course avec le soleil est lancée car nous désirons franchir la barre des 200 km parcourus ce jour... Nous bouclons l'étape lorsque l'astre incandescent fond sur l'horizon glacé... Il est 22 H, le thermomètre affiche toujours – 24 °C.
Position : N 64.9 W 046.8 , alt. 2330 m. / Distance parcourue ce jour : 203 km / Durée de l'étape : 15 H sous voiles
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Glossaire
- 1. En kite comme en voilier, on doit parfois tirer des bords (c'est à dire faire des zigzags) non plus pour remonter au vent mais pour « descendre » dans le lit du vent. C'est une allure délicate qui demande une grande attention et une bonne technique de pilotage pour un faible rendement kilométrique.
- 2. Le parawing se différencie des kites par une mise en place remarquablement rapide, un confort et une sécurité d'utilisation inégalables dès que le vent souffle à plus de 40 km/h. "The" voile tempête, celle du gros temps et des conditions polaires par excellence.
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- 3. Chasse-neige : vent soulevant la neige au sol. Si le vent est modérément fort, cette neige se déplace à quelques cm seulement au-dessus du sol, en une sorte de voile mouvant. Si le vent devient violent, la neige soulevée du sol se mélange à l'air sur une hauteur de plusieurs mètres, abaissant alors très nettement la visibilité et donnant l'impression d'un « brouillard tempétueux ».
- 4. La « fenêtre » de vol d'un kite est l'espace dans lequel la voile doit constamment évoluer pour ne pas être déventée : grosso modo, un quart de sphère. Sur les bords de cette « fenêtre », la voile vole mais n'a pas assez de puissance pour tracter. Au centre de la fenêtre, son pouvoir de traction est maximal.
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- 4 suite. En snowkite, la plupart du temps, le kiteur pilote son aile de façon à lui donner une vitesse propre, et donc générer de la puissance. Mais lorsque le vent est suffisamment fort, il n'y a plus nécessité de faire évoluer la voile dans cet espace : la puissance de l'aile est alors suffisante pour qu'elle se maintienne d'elle-même en une position donnée. Cette allure est particulièrement intéressante car à la fois stable (donc plus reposante) et très rapide.
Nous « renvoyons de la toile » et repartons sur les « chapeaux de roue », bien décidés à « bouffer du kilomètre »...
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Progression sur le fil...
Le 18 mai au soir, Michel (notre routeur météo) nous annonce l'arrivée d'un petit coup de vent pour la « nuit » à venir. Couchés à 23 H, nous savons qu'il nous faudra être matinaux si nous voulons ne pas louper le « bon wagon »... Mais à 3 H du matin, pas un brin d'air... A 5 H, toujours rien... A 7 H, un petite dépression se profile à notre ouest, le vent s’installe brutalement ! Cette fois, tout le monde « sur le pont » !
Nous démarrons dans une épaisse couche de poudreuse tombée durant notre sommeil. Les sensations sont excellentes et le spectacle totalement enivrant : les pulkas fendent la surface ouatée et soulèvent d'esthétiques gerbes de neige. Le « ride » est à la hauteur de nos plus beaux rêves.
Mais peu à peu le vent forcit, la couche de poudreuse se fait moins épaisse, quelques sastrugis (amoncellements de neige transportée, tassée, sculptée et ciselée par les vents dominants) apparaissent ici et là. 35 km/h de vent établis : nous filons bon train sous les Access 10 que nous pilotons désormais avec 50 mètres de lignes (5).
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Sensations fortes garanties ! Mais nous savons pertinemment que notre marge d'erreur se réduit de minute en minute : il devient nécessaire d'affaler la 10 avant le pépin !
Bien nous en prend : le vent se renforce encore (les rafales dépassent désormais les 50 km/h), tandis que les sastrugis se font légion. Des volutes de neige soulevées du sol par un puissant chasse-neige s'écoulent violemment au contact de la calotte, un maelström grisâtre se déploie autour de nous, déchirant le ciel en lambeaux tourbillonnants. Sous voiles-tempête, nous déboulons à pleine vitesse dans les bosses, sautant ici et là à la faveur de bourrasques qui sustentent les voiles... Concentration de tous les instants, intensité de l'action, vacuité d'un monde monochrome, univers sans repère... Un seul mot d'ordre : ne pas se « lâcher d'une semelle » pour éviter toute perte de contact visuel entre nous, alors que la visibilité se réduit bientôt à moins de 50 mètres...
Position : N71.1 W045.7 , alt. 2450 m. / Distance parcourue ce jour : 158 km / Durée de l'étape : 13 H sous voiles
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Glossaire
- 5. Sur mer ou sur neige, les longueurs de ligne utilisées par les kiteurs ne dépassent généralement pas 30 m. Sur l'inlandsis, nous « boostons » la puissance de nos voiles en utilisant des lignes longues de 50 à 100 m.
Concentration de tous les instants, intensité de l'action, vacuité d'un monde monochrome, univers sans repère...
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« Un truc de barge » !
Ça souffle encore très fort ce matin : gros chasse-neige de secteur sud-ouest, avec des rafales à plus de 50 km/h ! Les lumières diaphanes produisent une ambiance polaire : alternance de passages sans visibilité au sein de volutes grises et denses, et de zones éclairées par le soleil et balayées par de forts vents turbulents. C'est précisément dans ce contexte que se produit, en milieu d'après-midi, un magnifique double parhélie (6).
C'est un vrai régal que de jouer dans les sastrugis avec nos voiles-tempêtes. Sans ces dernières, nous serions contraints d'attendre sous la tente que le vent se calme un peu. Avec, nous filons bon train !
En fin d'après-midi, le vent faiblit : c'est sous Access 10 et vent ¾ arrière qu'il nous faut maintenant négocier des "marches d'escalier" de 40 à 50 cm de hauteur, accumulées par le vent. Les skis encaissent. Les jambes et le dos aussi. Dans ces conditions, la dernière heure de progression nous semble interminable. Il est 22 H 30 lorsque nous posons définitivement nos voiles et il fait – 25 °C.
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Sous la tente, nous constatons que le matériel souffre également de ce régime « shaker » : une bouteille thermos en alu s'est fendue, des bouchons de bouteilles d'essence se sont dévissés... On prend désormais la décision d'emballer dans nos habits tout ce qui est de première nécessité.
Position : N72.1 W046.4, alt. 2550 m / Distance parcourue ce jour : 112 km / Durée de l'étape : 9 H sous voiles
Glossaire
- 6. Phénomène optique dû à l'interaction de la lumière solaire sur les cristaux de glace en suspension dans l'air.
Alternance de passages sans visibilité au sein de volutes grises et denses, et de zones éclairées par le soleil et balayées par de forts vents turbulents.
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Contre la prolifération des « requins (7) » sur la calotte groenlandaise !
« Signez la pétition contre la prolifération des requins sur la calotte groenlandaise ! » Tel est le message envoyé à notre QG, en France, en ce 24 mai. Requins, déferlantes, râpes à fromages, lames, rasoirs... florilège de formes que prennent les milliers de sastrugis qui barrent désormais notre chemin et rendent notre progression infernale.
La calotte ressemble à un labour sans fin... Déjà plusieurs centaines de kilomètres que nous louvoyons dans ces reliefs déconcertants. Mais là, ce sont les pires que l’on n’ait jamais vus ! Et l'on a beau regarder vers le nord, il n'y a aucun signe, aucun espoir d'amélioration à venir...
Brise modérée de sud-sud-est. Le vent complètement arrière nous oblige à naviguer sous une allure assez particulière, voiles au zénith, afin de profiter du gradient altitudinal qui caractérise le catabatique (8) : alors que la brise est relativement molle à 30 m au-dessus du sol, elle est, 20 mètres plus haut , suffisante pour nous propulser à bonne vitesse.
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Afin d'éviter les reliefs les plus chaotiques, nous nous efforçons de franchir les portes d'un slalom géant imaginaire. La concentration est maximale lorsqu'on déboule à près de 40 km/h dans les bosses : en permanence, il faut surveiller la position de sa voile dans la fenêtre de vol, anticiper sur les cent mètres de sastrugis à venir en choisissant la trajectoire la moins chaotique possible, sans cesse vérifier où l'on engage ses spatules pour ne pas risquer d'« enfourcher » un relief de neige trop prononcé. S'imposer de skier jambes bien fléchies pour encaisser une succession sans fin de chocs, se retourner régulièrement pour s'assurer que les coéquipiers suivent et que les pulkas ne sont pas en train de se démanteler à chaque réception de saut. Sans omettre, pour l'homme de tête, de vérifier constamment son cap sur le GPS...
Accepter de naviguer surtoilé. Skier « agressif ». « Attaquer » pour ne pas trop subir. Rester parfaitement concentré... Uniques solutions pour qui souhaite progresser rapidement sans trop s'exposer.
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Mais après trois heures de ce petit jeu et 80 km parcourus « à bloc », la fatigue se fait sentir, l'attention se relâche. Les ennuis peuvent alors commencer. Les carres des skis buttent régulièrement sur les reliefs de neige. De temps à autres, un kiteur trébuche et « mord la poussière ». A la onzième heure, nous skions comme des automates. Je redoute que l'un de nous fasse une mauvaise chute...
A chaque arrêt, lignes et suspentes vont se coincer sous les reliefs de neige glacée, vrillant la voile en « papillote »... C'est précisément dans ce contexte, et alors que le catabatique s'est renforcé, que je fais une petite erreur de pilotage et me fais « satelliser » par ma voile. Réception forcément fracassante, avant d'être traîné au sol sur 30 mètres : de toute évidence, nous sommes à nouveau dans la « zone rouge » !
Le matériel souffre de plus en plus. La nourriture subit un traitement de choc : elle est le plus souvent réduite en poudre, les divers emballages sont percés ou explosés, le café se mélange aux barres chocolatées et au riz... Nos sacs de provisions sont méconnaissables. Aussi, l'étape venue, les fouillons-nous du bout des doigts pour en extraire ce qui est encore consommable...
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Position : N75.6 W050.7 , alt. 2330 m. / Distance parcourue ce jour : 134 km / Durée de l'étape : 11 H
Glossaire
- 7. Nom donné à certains sastrugis particulièrement acérés.
- 8. Brise descendante (ou vent orographique) caractéristique des régions polaires : les masses d’air situées dans les basses couches de l’atmosphère se refroidissent et se densifient au contact de la calotte ; plus lourdes, elles glissent sur la pente naturelle de l’inlandsis et accélèrent leur course vers l’océan.
Une petite erreur de pilotage... Réception forcément fracassante, avant d'être traîné au sol sur une trentaine de mètres : de toute évidence, nous sommes à nouveau dans la « zone rouge » !
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The Perfect Ride !
Nos plus belles heures de kite sont à venir... En ce vingt-huitième jour d'expé, la surface de la calotte est de nouveau plane. Il souffle un catabatique puissant. Quoiqu'à bien regarder les nuées grisâtres qui s'étirent aujourd'hui au-dessus de l'inlandsis, il y a bien une composante météo dans le vent de SSE qui nous propulse vigoureusement.
Grisé par la puissance générée par ma voile, je la borde (9) totalement, puis la trime (10) à fond pour parvenir à tenir le bon cap. En suspension dans le baudrier, bras, tronc et jambes se contractent et font bloc pour maintenir la barre et appuyer de tout le poids du corps sur les carres des skis... 50, 55, 57 km/h... Tension maximale : il n'est pas question de se prendre les pieds « dans le tapis » à cette vitesse-là...
Chasse-neige, ciel déchiré, volutes éthérées... Des nuages sombres barrent l'horizon vers lequel nous fonçons à une vitesse jamais atteinte jusqu'ici... L'ambiance est tout simplement incroyable, le moment, inoubliable... Le nirvana du rider ! On se prend à rêver de boucler la traversée en une poignée d'heures grisantes... Serait-ce le run final ?
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Malheureusement, le front de la perturbation nous a rattrapés, le ciel s'est obscurci, le vent a molli. Il se met à neiger. De plus en plus fort... Dans ces conditions, les voiles s'alourdissent et ne tractent plus vraiment. Il faut se résigner et attendre un changement météo, tout au moins une accalmie. Nous montons la tente pour une paire d'heures...
Une sieste plus tard, vingt centimètres de poudreuse recouvrent le sol. Le vent, encore un peu faible mais déjà renaissant, est suffisant pour nous soulever lorsque nous faisons passer nos Yakuzas (11) à la verticale de nos têtes. Il faut à tout prix la faire évoluer relativement bas dans sa fenêtre de vol (6) et éviter les embardées trop prononcées si l'on ne veut pas grimper au ciel ! Et alors que le vent arrière n'offre aucune allure confortable, nous parvenons finalement à grignoter les kilomètres. Un par un, dix par dix... Si bien que nous ne sommes plus qu'à 70 km de la côte quand nous décidons de boucler cette vingt-huitième étape.
Position : N77.9 W065.9 , alt. 1320 m / Distance parcourue ce jour : 200 km / Durée de l'étape : 10 H
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- 9. Quand le vent est suffisamment fort, on peut encore augmenter la puissance d'une voile en la bordant, c'est à dire en abaissant légèrement son bord de fuite, ce qui modifie son assiette.
- 10. Le trimeur permet d'abaisser le bord d'attaque de la voile, et par conséquent de lui redonner un peu de vitesse et une plus large incidence de vol.
- 11. La Yakuza est la plus puissante de nos quatre voiles. Son pilotage est peu confortable, très pointu et assez radical. Ses caractéristiques techniques en font un engin clairement taillé pour la performance...
50, 55, 57 km/h... Tension maximale : il n'est pas question de « se prendre les pieds dans le tapis » à cette vitesse-là...
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Terres en vue !
Au lever, ce « matin » (il est en fait 16 H), il y a du nouveau ! Il fait grand beau et nous distinguons très nettement les montagnes qui bordent le fond de la baie Inglefield. Cette vision, bien qu'encore imprécise, met fin à vingt-cinq jours d'immensité blanche et absoluement désertique ! Une saine excitation nous envahit...
Une erreur serait de penser pouvoir quitter la calotte par un de ses puissants glaciers émissaires, véritables champs de crevasses. Poussés par un léger vent arrière, nous optons donc pour une sortie de l'inlandsis en une des diverses et dociles avancées qu'il dessine tout au long de sa frange.
Veillant à ne pas trop perdre d'altitude, nous progressons sur un large épaulement qui domine les glaciers crevassés qui s'écoulent en direction du fjord Inglefield. Enfin, parvenus au bout de l'épaulement, nous basculons rapidement sur le versant du fjord Bowdoin : ici, l'inlandsis vient sagement mourir sur quelques collines. En sortir ne présente donc aucune difficulté.
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Il est 23 H lorsque nous quittons définitivement les glaces de la calotte. 800 mètres en contrebas, notre objectif, notre "Saint-Graal" : la banquise !
Juchés sur une moraine, nous tentons de repérer l'itinéraire idéal... Le "moins pire" serait une formule mieux appropriée sur ce terrain en grande partie découvert de neige... Débute alors un long cheminement : treize heures nous seront nécessaires pour couvrir les huit kilomètres qui nous séparent de la côte. En force, arcboutés dans nos harnais, tractant nos 80 kilos de matos sur la caillasse, nous nous hissons tant bien que mal jusque sur un collu pierreux. Au-delà, un vallon sans neige plonge vers le fond du fjord... La progression est éreintante : il faut tour à tour « mouliner » les pulkas dans une pente raide, les tracter entre les gros blocs d'un canyon, les porter à travers des pentes escarpées...
A quelque 200 mètres d'altitude, sur un petit replat qui domine les glaces du fjord Bowdoin, et face au très esthétique front du glacier homonyme, la messe est dite : nous nous écroulons sans demander notre reste ! Nuit à la belle étoile... sous un soleil « de plomb » !
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Position : N77.6 W068.5 , alt. 200 m / Distance parcourue ce jour : 69 km / Durée de l'étape : 17 H (4 sous kite)
Le lendemain, nous prenons pied sur la banquise. Encore une quarantaine de kilomètres sur la glace des fjords Bowdoin et Inglefield, et nous atteignons le village de Qaanaaq le 31 mai, à minuit. 2250 km au nord de notre point de départ...
Cette vision, bien qu'encore imprécise, met fin à vingt-cinq jours d'immensité blanche et absolument désertique !
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Le bilan de l'expédition Wings over Greenland en quelques chiffres
Départ le 1er mai 2008 de la côte sud (fjord Qaleragdlit, environs de Narsaq, altitude 0). 8 mai, nous accédons au plateau glaciaire proprement dit (altitude 2400 m). 13 mai, franchissement du cercle polaire arctique et passage à la station DYE 2. 27 mai, fin de la « zone des sastrugis ». 29 mai, sortie de la calotte au NW du Groenland. 30 mai, accès à la banquise côtière (fjord Bowdoin). 31 mai minuit, arrivée à ski au village de Qaanaaq via le fjord Inglefield.
Bilan de l'expé :
- durée de l'expé : 29 jours et 5 heures d'une côte à l'autre. Distance quotidienne moyenne : 76,4 km.
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- Si l'on considère l'intégralité de l'itinéraire (départ Qaleraglit fjord – arrivée Qaanaaq), l'expé aura duré un peu moins de 31 jours pour une distance totale de2245 km.
Avant notre départ, la traversée longitudinale du Groenland a vraisemblablement été réalisée sept fois en tout et pour tout (voir PDF « Historique expés antérieures » en annexe) : deux fois avec des attelages de chiens nordiques, une fois à ski et d'une extrémité à l'autre, deux fois en « catamaran des glaces », deux fois en kite-ski.
Si l'on ne considère que les traversées effectuées en kite-ski, l'expé Wings over Greenland est la 3ème à réussir ce challenge ; la 1ère à réaliser cet itinéraire au printemps ; la 1ère à atteindre le village de Qaanaaq par ses propres moyens (sans aucune assistance motorisée)... Elle est aussi, à ce jour, la 3ème en termes de rapidité, derrière les expés norvégiennes de Niklas Norman (juillet 2005) et Ronny Finsaas (juin 2008).
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Autres chiffres :
- un an et demi de préparation dont 40 jours passés à kiter en Norvège.
- 375 kg de matériel et de nourriture emportés.
- 2240 m de lignes et 108 m² de voiles au total
- 2185 km parcourus sous voiles, 60 km effectués sans leur aide (accès et descente de l'inlandsis)...
- Plus de 170 heures de kite
- 800 km (un gros tiers du parcours !) de course folle dans les sastrugis...
- 3 journées sans se déplacer, à attendre le vent ou à réparer.
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Des objectifs... politiquement incorrects !
Il nous faut l'avouer : nous n'avions aucun-e
- Ambition écologico-éducative
- Alibi scientifique
- Mission de promotion des énergies alternatives
- Faculté, prédisposition ou volonté particulière de sauver la planète...
(Le ton employé est volontairement sarcastique. Je précise tout de même que nous avons le plus grand respect pour ce genre de démarches lorsqu'elles résultent d'une réflexion poussée et d'un travail très concret de sensibilisation à long terme. Moins quand il s'agit d'une volonté “très tendance” d'estampiller son expé du désormais incontournable label “voyage écologiquement responsable”.
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Car pour être tout à fait responsable, ne vaut-il pas mieux rester sagement chez soi ? - La question mérite d'être posée...)
Les motivations étaient :
- L'attrait pour le sport et la performance
- Le goût de l'effort et du dépassement de soi.
- Le plaisir (égoïste, inutile, futile mais assumé) de l'expérience rare
- La volonté de vivre intensément...
Je cherchais à me chatouiller les nerfs pour découvrir qui j'étais. L'aventure comme but en soi...
Reinhold Messner
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Le kite « polaire » : no sea, no sex, no sun !
« Sea, sex and sun » ? Le kite des hautes latitudes n'a pas ce petit côté fun et branché généralement associé aux disciplines voisines (au premier rang desquelles vient le kitesurf) ! Cette pratique devient même totalement marginale et singulière lorsqu'elle a pour vocation première la traversée des plus grands déserts polaires de la planète ; elle se retrouve alors au carrefour d'univers généralement distincts : les sports de glisse, les expéditions polaires, la navigation hauturière...
Si l'évolution du « kite polaire » et les performances accomplies ces dernières années [5013 km parcourus en 74 jours en Antarctique, 2300 km parcourus en 21 jours et 595 km couverts en 24 heures au Groenland...] ne s'expliquent que par les passerelles étroites qui existent entre cette pratique ultra-spécifique et celles toujours plus
techniques que sont le kitesurf, le snowkite ou même le kite-buggy, il n’en est pas moins vrai que l'isolement, la durée de l'effort, les contraintes extrêmes du milieu traversé et l'engagement propres à cette activité intéressent davantage le microcosme des « explorateurs » que la communauté bariolée et bronzée du kiteboard.
Mais, au-delà de ces considérations d'appartenance « tribale », le kite polaire ne puise-t-il pas ses raisons d'être ailleurs…? Dans la relation que le corps tisse, de façon permanente et durable, avec un paramètre immatériel, pur, omniprésent et omnipotent : le vent.
Sur ces immenses calottes polaires (déserts de glace absolus), il y a une logique certaine à vouloir aller vite, à tirer le meilleur parti des éléments et du matériel [un peu à la manière des skippers lors des grandes courses au large], à rechercher la performance, à se
pousser dans quelques retranchements physiques et psychologiques... Tous ces facteurs ne sont alors plus les simples corollaires de l'aventure : ils deviennent bel et bien le moteur, l'enjeu principal du projet.
Pour aller plus loin
- Itinéraire réalisé
- Le site dédié à l'expédition
- Le journal de bord complet de l'expédition
- La vidéo de l'expédition
- Article Carnets d'Aventures
- Article Montagnes Magazine part 1
- Article Montagnes Magazine part 2
- Publications presse et web concernant Wings over Greenland I
- Guide pratique traversée Groenland en snowkite
- Flyer présentation expé
- Dossier présentation WOG I
- Historique des traversées longitudinales du Groenland
- Le test des pulkas Snowsled Ice Blue Trail
- Plus d'images
- Remerciements
- ENGLISH "We made it !"
- ENGLISH "Wings over Greenland in a nutshell
- ENGLISH "Aims and ambitions"
- ENGLISH "Press and web english publications regarding Wings over Greenland I expedition"