Wings Over Greenland II - The Icecap Circumnavigation
-
_
Du 19 avril au 16 juin 2016
Wings Over Greenland II - The Icecap Circumnavigation
_ -
L'Allemand Cornelius Strohm et le Français Michael Charavin signent un itinéraire exceptionnel au Groenland, nouveau record mondial de la plus longue distance jamais couverte à ski... Expédition Wings over Greenland II - The circumnavigation project 2014.
5067 km
Parcourus en kite-ski à travers les glaces du Groenland
En 58 jours pleins
De la mer à la mer
En totale autonomie
Clichés C. Strohm / M. Charavin
-
Aérologie complexe
26 avril 2014, 62° de latitude Nord. 7 jours déjà que nous avons quitté la côte du Fjord Qaleraligd, à l'extrême sud du Groenland. Et seulement 182 km de parcourus sur les 5 000 projetés...
Dans l'après midi, les vents sont quasi inexistants. Du moins sur cette partie de la calotte. Aussi sommes nous quotidiennement contraints à une pause plus ou moins longue entre l'essoufflement du catabatique précédent et l'arrivé du nouveau. Un break qui a lieu aux heures les moins hostiles de la journée. Mais comme nous ne souhaitons pas nous offrir le luxe de monter la tente pour une durée toujours incertaine, cette pause – qui parfois s'éternise - se fait « au grand air », adossés à nos pulkas...
A cette période de l'année, persiste encore une véritable nuit : certes courte (environ 4 à 5 heures), mais totalement noire, marquée par un fraîchissement des températures et une influence incontestable sur l'aérologie des lieux : le refroidissement nocturne génère un écoulement plus consistant de l'air à la surface de la calotte, cela dés 19 h, et jusqu'à 10 heures le lendemain. Les fameux vents catabatiques.
-
Connaisseurs (voir page Wings over Greenland I - 2250 km en Snowkite à travers les glaces du Groenland), nous sommes conscients de la nécessité de mettre en œuvre des solutions inédites afin de « grappiller » de précieux kilomètres sur cette partie la moins ventée de la calotte. Nous sommes donc équipés de puissantes lampes frontales.
Nous ne multiplierons pourtant pas les sessions par nuit d'encre (nous en ferons deux, dont une dans des giboulées de neige, propulsées à l'horizontale dans le faisceau lumineux de nos frontales. Ambiance...), qui sur les plans de la gestion de la concentration, du risque, de la régulation thermique, sont tout de même compliquées.
Nous sommes donc pour le moment dans un entre-deux, avec les inconvénients que cela génère : une progression nulle ou poussive les après-midi, des créneaux plus efficaces mais resserrés en soirées, une tension grandissante quand s'en vient l'obscurité... Dans ces circonstances, trouver un rythme n'a rien d'évident. Et à cette vitesse là, il nous faudra 200 jours pour boucler la boucle !
Nous rongeons notre frein... Mais nous savons que ces premières centaines de kilomètres sont précisément les plus difficiles à gagner.
-
Riding on the storm !
29 avril 2014, jour 11, latitude 65° N, km 505.
Marc, notre routeur météo, nous prévient depuis quelques jours de l'arrivée imminente d'un fort coup de vent. Ce matin, son message - que nous recevons via le modem du téléphone satellite ne souffre aucune ambiguïté : « Faites votre journée le plus tôt possible, pendant que les vents sont modérés, et soyez prêts, tente bien arrimée, lorsque le blizzard fondra sur vous en fin de journée ».
Bien sûr, nous prenons son conseil très au sérieux. Mais nous savons très bien ce que nos voiles « tempête » nous autorisent et nous permettent : progresser rapidement dans le « gros temps » ! Aussi, prenons nous l'option inverse : attendre délibérément que les vents se renforcent pour démonter le camp et nous lancer dans un run musclé...
Nous progressons rapidement de 55 kilomètres sous voile Beringer 8, par 50 km/h de vent établi. A la troisième heure, les conditions se durcissent encore pour devenir dantesques : alors que nous venons d'ajouter 15 nouveaux kilomètres à notre compteur tout en ayant pris soin de réduire d'un tiers la toilure, se pose brusquement, sous des rafales atteignant maintenant 70 km/h, la question de la préservation du matériel :
-
du fait du poids tracté (180 kg de matériel chacun, auquel s’additionnent les 80 kg du skieur) et de la forte friction des pulkas sur la neige, les suspentes de nos voiles absorbent un pourcentage important de l'énergie éolienne et encaissent des forces colossales. Le risque de déchirure n'est plus négligeable.
Un autre paramètre nous préoccupe également : nous savons que plus nous repoussons le montage du camp, plus il deviendra délicat.
Et en effet, le « combat » commence véritablement dés lors que nous prenons la décision de stopper notre progression. Nous bataillons une heure et demi durant, avant de pouvoir nous réfugier sous la tente...
Aussi, prenons nous l'option inverse : attendre délibérément que les vents se renforcent pour démonter le camp et nous lancer dans un run musclé...
-
Confiance, patience, prudence et détermination...
30 avril 2014, jour 12. Ce sont les mots que nous adressent Sylvie ma compagne. Ceux-ci n'ont pas tous une valeur identique dans notre contexte.
La détermination est la pierre angulaire d'une expédition longue et ambitieuse. Avoir pour objectif de progresser de plus de 100 km, tous les jours, quelque soient les conditions, exige d'être opiniâtre, constant, résolu, voire acharné. Pour tous les jours, sortir du duvet et se mettre en ordre de marche - ce qui prend un temps fou, au delà de ce qu'on peut bien s'imaginer. Pour grappiller des kilomètres supplémentaires alors que l'on a déjà sa dose d'efforts quotidiens, de contraintes de toute sorte, les pieds en « bouillie » et que l'on n'aspire plus qu'à se « poser » à l’abri sous la tente.
Dans notre contexte, la prudence est probablement la notion la plus ambiguë. Il est évident que nous devons l'être. Et nous le sommes, dans le sens où nous mesurons assez précisément les incidences de chacun de nos comportements, de nos décisions. Mais pour autant, la prise de risque (le corollaire de la prudence) est aussi une appréciation très personnelle. Et qui, par conséquent, diffère souvent entre nous...
-
Notre « home sweet home » est aujourd'hui bousculé par le « maelström » furieux qui se répand sur l'inlandsis. Pourtant, la question de lever le camp taraude régulièrement nos pensées. Impatience... ou mauvaise conscience ? Mais que l'un de nous commence à formuler cette vague opportunité, et les corps se rebiffent immédiatement : l'énergie nécessaire à déployer pour lever un camp dans la tempête a raison de nos volontés surmenées. Dommage ? Pas sûr, car en cette fin de journée, le vent dépasse encore les 60 km/h en rafales, la visibilité est nulle, l'air humide nous aurait rapidement transformé en glaçons...
La détermination est la pierre angulaire d'une expédition longue et ambitieuse
-
« Travailleurs de nuit » ...
Nuit du 5 au 6 Mai 2014, jours 17 & 18, latitude 70° N, km 1025.
Les jours passant - et les nuits disparaissant -, nous ajustons toujours plus notre rythme de progression sur les heures crépusculaires : à cette latitude, le soleil n'en finit plus de raser l'horizon, avant de disparaître dans un ultime flamboiement. Au largue dans un catabatique naissant, nous filons bon train, dépassant parfois les 50 km/h. Sentiments mêlés de vitesse, de puissance, de concentration. De vulnérabilité aussi...
Il n'y a désormais plus besoin des frontales, même aux heures les plus sombres. Mais la luminosité reste limite. Le vent, lui, en ces heures froides, prend systématiquement des « tours » et soulèvent des panaches de neige de plus en plus épais. Nos masques de ski se couvrent de givre, le champ de vision se restreint, les détails s'estompent, nous progressons désormais dans un univers flou et embué. 103... 104... 105... Débute le compte-à-rebours des kilomètres qui nous séparent encore de l'étape. Combien pour cela ? Le compagnon aura-t-il la même appréciation des choses... ?
-
A l'arrière, l'esprit se réfugie dans la torpeur des songes... A l'avant, en position d'« ouvreur », pas d'autres choix que de kiter masque de ski relevé, pour pouvoir lire cap et relèvement sur les écrans de nos GPS : le vent glacial nous brûle les yeux. Nous tentons de nous protéger en ramenant les capuches de nos vestes au plus près de nos visages, pourtant déjà emmitouflés sous les couches superposées des cagoules intégrales. 117... 118... 119... Progresser, encore...
3 heures du matin, kilomètre 127, la réapparition du disque solaire sur l'horizon nord-nord-est signe la fin de la session. Nous montons le camp dans un vent de 40 km/h, il fait -30°C, la température ressentie est de - 47°C...
Au largue dans un catabatique naissant, nous filons bon train, dépassant parfois les 50 km/h. Sentiments mêlés de vitesse, de puissance, de concentration. De vulnérabilité aussi...
-
Rythmes et prises de décisions...
Notre rythme de progression et de vie sont tous deux clairement lié aux conditions météo. Il n'ont donc rien de définis, de déterminé par avance. Et c'est là une difficulté : à nous de nous adapter, d'être malléables. Une journée pourra s'étirer sur 30 heures si le vent autorise une bonne progression. Mais une période de repos entre deux étapes pourra aussi être très courte si les conditions ne sont pas propices et qu'il faut essayer de tirer profit des créneaux les moins mauvais...
Mais les rythmes diffèrent aussi entre nous. Un pourra avoir besoin de plus de sommeil, un sera "plus du matin", l'autre du soir ; l'un aura envie de s'arrêter, l'autre de poursuivre... Sous voiles également, les rythmes sont rarement tout à fait identiques. Nos poids diffèrent suffisamment pour que l'on n'ait jamais tout a fait le même ressenti sous une même aile : lorsque l'un est bien toilé, l'autre se sent souvent surtoilé. Et lorsque l'autre est bien toilé, le premier se sent souvent sous-toilé... Or, ces petites différences ont une incidence sur le choix de l'allure et du cap suivi, sur la vitesse de progression.
-
Et des vitesses de progression même légèrement différentes ne sont pas toujours simples à gérer, surtout pour celui qui se trouve derrière (qu'il aille d'ailleurs plus vite ou plus lentement que le premier)... Tout est donc question d'ajustement permanent en matière de rythme...
De la situation météo observée ou annoncée (Marc, notre routeur, nous adresse quotidiennement un bulletin détaillé), des analyses que chacun se fait des situations découlent des souhaits, des choix et des prises de décisions. Pas toujous évident d'être au diapason ! Pas facile non plus de faire les bons diagnostics et donc les bons choix. Nous tentons en permanence de décrypter le fonctionnement aerologique de la calotte, mêlant nos observations, nos connaissances, les prévisions annoncées. Mais force est de constater que le système est complexe. Et il nous arrive fréquemment de nous fourvoyer totalement dans nos décisions.
Il y a deux jour, nous sommes restés sous la tente alors que nous aurions peut-être pu exploiter un vent faible et grappiller les kilomètres.
-
Ce matin, après avoir peu dormi, nous avons décampé, pour constater que les 10-12 km/h de vent mesuré au sol n'était pas plus élevé 50 mètres plus haut, et que par conséquent, nos voiles ne tractaient pas. Nous avons replanté le camp 300 mètres plus loin que la veille...
Il n'y a quasiment pas d'air aujourd'hui à notre position. C'est suffisamment rare pour nous l'evoquions. Les previs pour les jours à venir ne sont pas les plus rassurantes. Le maelström est davantage dans nos pensées que sur la glace...
Il nous arrive fréquemment de nous fourvoyer totalement dans nos décisions.
-
Au Nord
18-19 mai 2014, jours 30-31, latitude 81° N, km 2479.
Nous sommes entrés aujourd'hui dans l'immense Parc National du nord-est du Groenland - sa superficie avoisine celle de l’Égypte ! Parvenus à la position N81 W40, nous avons atteint le point le plus nord de notre expédition et parcouru près de 20 degrés de latitude depuis le départ. 1005 km nous séparent du pôle nord.
Situés à près de 120 km de l'extrémité nord de l'inlandsis, nous pensions pouvoir distinguer les reliefs des Terres de Peary, de Freuchen ou de Wulff sur notre horizon nord. Malheureusement, le vent soulève trop de neige autour de nous pour permettre une visibilité suffisante.
1005 km nous séparent du pôle nord.
-
Sastrugies vertigo
25 Mai, jour 37, latitude 77° N, km 3017.
Déjà plus de 500 km parcourus sans trêve sur ce terrain cabossé, sur cette « tôle ondulée » des hautes latitudes [avec une distance ininterrompue de 900 km, ce sera finalement la plus grande zone de sastrugies que nous aurons rencontré]. Un paroxysme en la matière, en nombre, en hauteur, en formes...
C'est avec nos plus grandes voiles que nous pourfendons cette armée de Trolls. Bien toilés, nous progressons voiles calées, déboulant à près de 25 km/h durant des heures sur ces obstacles que nous prenons par le travers. Les spatules fracassent les trains de vagues gelées, les carres tranchent dans le vif, les cuisses et les genoux encaissent, les pieds dérouillent, les pulkas jaillissent à tout instant. C'est la « guerre » !
Tout le matériel embarqué est ainsi soumis a l'épreuve du frottement mille fois répété. C'est bien simple : nous n'avons jamais autant « bousillé de matos » qu'ici ! Les premiers temps, on s'empresse de reboucher le moindre trou. Avec les semaines, on ne peut que faire le constat que nous ne gagnerons pas cette bataille là ;
-
en effet, ceux-ci sont partout ; les plus petits - mais les plus pervers - font leur « nid » dans les dosettes de chocolat en poudre du petit déjeuner.
Ce dernier en profite pour quitter l'emballage dans lequel il est confiné depuis trop longtemps pour rejoindre le reste des aliments, qu'il enrobe alors délicatement ; cela fait, il contamine le reste des sacs qui n'ont plus d'étanche que le nom, puis le fond des pulkas. Un bonheur... La gamme des trous de taille moyenne prolifère sur tous les sacs et quelques uns d'entre eux ont même entrepris de visiter nos voiles ! Les plus gros aèrent assez efficacement les sacs pourtant ultra résistants de nos pulkas.
Bref, tout objet « dur » creuse dans plus mou que lui...
Face à cette irrémédiable dégradation, on apprend à relativiser et à se détacher : une partie du matériel doit être considéré comme « consommable » et ne pourra resservir. On est davantage inquiet pour l'électronique (même si nous avons pris soin de le protéger efficacement) et le réchaud restant. À tel point que le matériel indispensable a pris place dans un sac à dos, le temps que le terrain retrouve un aspect moins chaotique...
-
Les organismes ne sont pas non plus vraiment à la fête avec ce régime « shaker ». Même s'il se combine à une « usure » progressive et irrémédiable après plus de 30 jours de progression et à une exposition aux températures froides depuis plus de deux semaines, un signe est révélateur : nous mangeons et dormons d'avantage depuis quelques jours, alors même que nos distances quotidiennes se sont réduites. Quant à ces dernières, nous aimerions faire mieux, mais force est de constater que nous n'y parvenons pas : c'est finalement l'état de surface du sol qui définit les règles du jeu...
C'est avec nos plus grandes voiles que nous pourfendons cette armée de Trolls. Les carres tranchent dans le vif, les cuisses et les genoux encaissent, les pieds dérouillent. C'est la « guerre » !
-
A en perdre son latin...
27 Mai, jour 39, latitude 75° N, km 3174.
Nombre de jours de progression, nombre de camps, date du jour... Tout cela est parfois un peu confus dans nos esprits. Nous sommes bien incapables de dire quel jour sommes nous - cela n'a aucune incidence sur notre emplois du temps. Mais, plus étonnant, nous perdons aussi progressivement les repères temporels au sein même de la journée.
Notre rythme quotidien s'étire sur 28 ou 30 heures environ. Sans être un choix parfaitement calculé ou décidé, il semblerait que ce soit tout simplement le meilleur compromis efficacité / repos. Une étape (la phase de progression proprement dite), surtout si elle est longue, occupe entre 1/3 et une moitié de journée normale (de 24 heures). Les phases intermédiaires de montage et surtout de démontage du camp, mais également les repas pris sous tente (classiquement, dîner et petit-déjeuner ; mais ces derniers temps, dans le tiers nord du Groenland, parce que l'exposition aux températures basses est une épreuve réelle pour les organismes, nous prenons également le déjeuner sous tente, avant le démontage du camp et nous limitions alors à des pauses très courtes pendant la progression...) sont également chronophages. Reste le temps dévolu au sommeil, au repos et à la communication.
-
Les premières semaines, il est envisageable de réduire un peu les temps de sommeil et de repos pour réinvestir ce temps ailleurs, notamment dans la progression, ou tout simplement pour parvenir à rester dans un rythme de 24 heures. Après un mois d'effort, cela devient beaucoup plus complexe : les phases de récupération ne sont plus tout à fait facultatives... Dans ces conditions, 24 heures ne suffisent plus pour assurer un équilibre entre les différentes phases, et c'est donc très naturellement que la durée de la journée s'allonge. Cela est évidemment grandement facilité par l'absence de nuit.
Nous ne sommes toutefois pas totalement libérés des contingences temporelles. Une entité extérieur continue de donner son tempo, encore et toujours : c'est l'aérologie. Cette dernière est tout à la fois rythmique (les vents catabatiques, essentiels à notre progression, restent plus forts aux heures les plus froides) et arythmique (les vents d'origine météorologique suivent des rythmes plus aléatoires et complexes, indépendants du rythme circadien).
Notre rythme de plus de 24 heures nous fait ainsi perdre régulièrement de bons créneaux de vents catabatiques car nous ne parvenons pas à nous calquer systématiquement dessus...
-
Mais la présence, la force, la direction du vent restent de toute façon des phénomènes complexes que l'on a bien souvent du mal à appréhender avec justesse, en dépit des infos précises que nous envoie chaque jour notre routeur.
Bref, nos rythmes physiologiques diffèrent suffisamment du tempo propre à l'environnement dans lequel nous évoluons pour rendre illusoire toute tentative d'instaurer un timing stable. Et plus que de progresser aux heures les plus froides (la « nuit ») ou de se coucher en milieu de « journée », le plus déroutant est finalement d'être constamment décalés de quelques heures par rapport au jour précédent ; surtout si, opportunité aérologique oblige, le décalage a lieu dans le sens inverse du décalage systématique habituel...
On finit vraiment par en perdre notre latin, au point qu'il devient difficile de se souvenir à quelle heure nous avons débuté ou fini l'étape ou notre « nuit » de sommeil. Vous l'aurez compris, nous sommes bien déphasés !
Une entité extérieur continue de donner son tempo, encore et toujours : c'est l'aérologie.
-
Plaisirs, contraintes & enjeux...
5 juin 2014, jour 48, latitude 68° N, km 4013.
Ce soir, dans un courriel reçu par satellite, ce message : « A-t-on du plaisir dans une pareille expédition ou y a t il tant de contraintes et de risques à chaque instant que l'on est « en stress » ou sur ses gardes 24H/24 ?? »
Éléments de réponse...
Les semaines passant, les kilomètres s'accumulant, nos esprits sont naturellement toujours plus tendus vers l'objectif (fixé il y a de cela quelques années déjà). Au dépend, parfois, d'un certain détachement, d'une capacité à apprécier chaque instant ou à prendre du recul sur notre propre situation.
Le défi est de toute évidence le moteur de l'expédition : une telle aventure est indissociable d'un certain esprit de performance et de compétition. Et dans un tel contexte, les sources de satisfactions immédiates sont bien souvent éclipsées par d'autres contingences : la gestion permanente de contraintes fortes, de certains risques. L'expérience, la connaissance des types de terrains traversés et des techniques employées n'y changent pas grand chose :
-
nous composons au quotidien avec une tension diffuse, mais de toute évidence omniprésente.
Les enjeux d'une telle expédition, bien que personnels, très subjectifs et, en définitive, insignifiants une fois sortis de leur contexte, génèrent également un stress irréfutable qui va, c'est certain, à l'encontre du plaisir immédiat.
Alors, incapacité de circonstance aux plaisirs immédiats ? Pas tout à fait exact... mais pas tout à fait faux non plus. Pour mieux comprendre, il faut bien se figurer l'état d'esprit dans lequel nous nous trouvons:
- Il s'agit d'une « entreprise » encore jamais réalisée jusque là. Et en cela, elle comporte ses propres incertitudes ;
- au-delà de la circumnavigation proprement dite, nous nous sommes - discrètement - fixés un objectif majeur ambitieux : tenter de réaliser le plus long voyage jamais entrepris à ski en totale autonomie ;
- enfin, nous nous retrouvons, de façon plus ou moins consciente et assumée, dans une forme de compétition plus prononcée qu'à l'accoutumée, puisque nous sommes 3 équipes différentes à tenter ce challenge en même temps.
-
Une chose est certaine cependant : si l'ampleur du défi nous place plus souvent dans un mode « combattant » que contemplatif, nous continuons tout de même et heureusement à nous émerveiller des lumières uniques, du « chant du vent » sur la glace et de l'apparition, même lointaine, de montagnes inconnues ; à nous étourdir d'espaces, de vide, d'absolu.. Et c'est bien ce qu'il restera, profondément ancré en nous, à l'issue de ce voyage « hors du monde ».
Le défi est de toute évidence le moteur de l'expédition : une telle aventure est indissociable d'un certain esprit de performance et de compétition
-
Finish rock'n'roll !
15 juin 2014, jour 58, latitude 61° N, km 5067.
Il est 4H30 ce matin lorsque nous montons le camp après une étape de plus de 11 heures de progression quasi ininterrompue. Enfin sous la tente, nous lisons la dernière prévision météo : Marc nous annonce sans détour qu'il faut tenter d'en terminer dans les prochaines 20 heures, sous peine de nous voir « engluer » dans une pétole de plusieurs jours. Au lieu de nous glisser dans nos sacs de couchage que nous venons tout juste de déballer, nous prenons la décision de boire un café, de démonter le camp et de repartir sur le champ.
Des lacs de fonte d'un magnifique bleu outremer se sont formés dans les cuvettes. Nous sommes arrivés à une altitude critique où tout le manteau neigeux est en train de fondre à grande vitesse. La neige est littéralement « pourrie ». Plus nous avançons, et plus nous avons le sentiment qu'il faut forcer le passage, ne surtout pas s'arrêter. Car les difficultés à se sortir de ce chausse-trappe par nos propres moyens deviendraient alors vraiment réelles.
-
Plus bas encore, le manteau neigeux a déjà en partie disparu et laisse deviner les crevasses sous chaque pont de neige restant.
Nous zigzaguons autant que possible sur les bandes de glace grises que nous savons saines, et quand il n'y a plus d'autres issues, nous envoyons des « loops » d'ailes vigoureux en pleine « fenêtre », dans le but de franchir les ponts de neige le plus rapidement possible...
C'est finalement avec soulagement que nous nous dirigeons vers une cuvette où de l'eau de fonte s'accumule en « piscines » bleu lagon : nous y faisons littéralement du ski nautique. Environnement déconcertant, mais le seul risque ici serait de s'étaler dans une flaque...
Un peu plus loin, le vent tombe et nous plions un dernière fois nos voiles. Nous ne sommes plus qu'à 8 km de la côte. Nous tractons maintenant nos pulkas à pied ou à ski sur une glace rugueuse et bosselée, les tirant tantôt comme des forcenés, courant tantôt devant pour ne pas se faire écraser par ces engins encore pesants...
-
Une nouvelle descente un peu raide en rive droite du glacier nous amènent au seul endroit où il est possible d'en sortir avant qu'il ne termine sa course au niveau d'un abrupt front glaciaire. Il est 19h30, nous n'avons fait que 6 heures de break ces 26 dernières heures.
Nous bivouaquons là, « à la belle étoile », sur les cailloux de la moraine, ne trouvant aucun emplacement pour poser notre tente. Le temps est menaçant, le coin triste et sordide ; nous essuyons 3 petites averses durant la nuit, mais rien qui ne nous empêche vraiment de dormir...
Le 16 juin au matin, nous enchaînons les aller-retours dans les éboulis de la moraine. A 11 heures, tout le matériel est enfin sur la rive du fjord Qaleraligd, à quelques encablures de l'endroit où nous l'avions quitté 58 jours plus tôt.
Le ciel s'assombrit de nouveau, il pleut déjà quelques gouttes lorsqu'arrive une grosse barque équipée d'un moteur hors-bord de 90 chevaux. L'expédition Wings over Greenland II vient de prendre fin...
Plus nous avançons, plus nous avons le sentiment qu'il faut forcer le passage, ne surtout pas s'arrêter
-
Pour aller encore plus loin
- Second trailer vidéo
- Video Conditionnement nourriture
- SNOWSLED [partenaire]
- FLYSURFER [partenaire]
- Carnets d'Aventures [partenaire]
- Test surbottes 40 Below
- Test tente Helsport Svalbard 5 Camp
- Dossier Propositions Partenariats
- Liste Matériel commun WOG II
- Liste Matériel individuel WOG II
- Route WOG II camp à camp (format KML)